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"Nos dirigeants ne sont pas préparés à gouverner"

Wendy Bashi28 février 2024

Interview avec Valéry Madianga du Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL) alors que la question du salaire des députés fait encore polémique en République démocratique du Congo.

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Les députés congolais vont-ils gagner encore plus d'argent ? Déjà accusés d’empocher jusqu’à 21.000 dollars par mois – une somme qui n’a jamais été confirmée officiellement – le salaire des députés nouvellement élus pourraient franchir un nouveau record, pour atteindre cette fois la somme de 33.000 dollars, auxquels s’ajouteraient 400.000 dollars de frais d’installation. 

Nous avons voulu vérifier cette information avec notre invité de la semaine, Valéry Madianga, du Centre de recherche en finances publiques et développement local (CREFDL). Selon lui, il est très difficile de contrôler ces chiffres, car les salaires des députés sont dissimulés dans les lignes budgétaires de l'État congolais. Seul un tiers de cette somme, soit 10.000 dollars par mois, est visible et peut-être confirmée. Valéry Madianga dénonce toutefois le manque de transparence dans la gestion des fonds accordés à l'Assemblée nationale en République démocratique du Congo.

Interview avec Valéry Madianga

 

DW : Valérie Madinga Bonjour.

Valéry Madianga : Bonjour, madame.

DW : Depuis quelques jours, on voit circuler sur la toile un chiffre. Il est question de 33 000 $. Il est dit que le salaire des députés est passé de 21 000 à 33 000 $ avec des frais d'installation qui reviendraient à 400 000 $. Est-ce que vous confirmez ou pas ces chiffres ?

Valéry Madianga : Nous faisons le contrôle citoyen sur la base des documents officiels. Nous ne pouvons pas commencer à spéculer sur tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux. J'aimerais vous dire que l'Assemblée nationale a une dotation.

On appelle ça le fonds spécial d'intervention. Il y a deux lignes au niveau du bureau, c'est-à-dire que les membres du bureau ont au moins une dotation. Vous avez aussi, au niveau du cabinet du Président, il y a aussi une dotation.

Alors, ce sont ces fonds là, lorsque vous les regardez dans le cadre de la loi de finances 2024. C'est en dollars, c'est autour de 250 millions de dollars.

Et ces fonds-là, ça permet de faire fonctionner les bureaux, les commissions parlementaires et ainsi de suite.

Et l'Assemblée nationale a aussi une dotation pour financer les rémunérations de 500 députés et aussi les assistants parlementaires. Donc, tout ça, c'est le gros budget qui finance, qui fait fonctionner l'Assemblée nationale.

Maintenant, pour les émoluments dans le cadre de la loi de finance 2024, c'est autour de 10 000 $. C'est ce qui est écrit dans le document officiel promulgué par le Président de la République.

DW : Quand on parle des émoluments, qu'est-ce que c'est pour quelqu'un qui ne connaît pas ?

Valéry Madianga : C'est le salaire. Le salaire du député, c'est autour de 10 000 $ maintenant, lors de la dernière législature, selon les informations dont nous disposons, le montant officiel était de 6 250 $ que les députés touchaient.

Mais après les aménagements en interne, ils sont arrivés autour de 12 000 $. Ça, c'est les montants qu'on peut retracer au niveau de la banque, ainsi de suite.

Deuxièmement, il y a un vrai problème de débat sur l'utilisation des fonds. C'est-à-dire que lorsque j'ai commencé au début, j'ai parlé des fonds spéciaux d'intervention qu'on affecte au bureau du président, c'est-à-dire au cabinet du président de l'Assemblée.

Et cet argent, c'est un fourre tout ce qu'on lui donne. Et à travers ces fonds-là, il peut les manipuler, payer un groupe de députés qui a l'habitude de toucher 21 000 $, ce n'est pas tout le monde.

Et ces fonds-là ne sont pas traçables. Ce sont des mauvaises pratiques parlementaires, juste pour avoir la confiance de quelques députés ou bien pour influencer les débats. Mais ce sont des mauvaises pratiques et nous disons…

DW : Est-ce qu'il existe un mécanisme de contrôle ? Est-ce qu'il existe un mécanisme… Vous dites que ce sont des fonds obscurs et ce n'est pas tous les députés qui ont accès à cette somme de 21 000 $. Mais est-ce qu'il existe un mécanisme de contrôle ou un mécanisme de contrainte, quelque chose qui punirait ce genre de pratiques ?

Valéry Madianga : nos dirigeants ne sont pas préparés à gouverner, c'est-à-dire que ces gens qui ne maîtrisent pas les circuits de la dépense publique. Ils ne maîtrisent pas non plus la loi relative aux finances publiques. C'est la loi mère et c'est très difficile.

DW : Comment ça se fait qu'ils ne la maîtrisent pas ?

Valéry Madianga : mais parce qu'ils n'ont pas été préparés en amont pour venir gérer. C'est ça le vrai problème. Ils n'ont pas été préparés. Vous avez l'IGF (Inspection générale des finances, ndlr). L'IGF avait déclaré qu'elle suivrait de près la gestion des finances de l'Assemblée.

Jusqu'aujourd'hui, est-ce que l'IGF peut nous dire combien de missions de contrôle parlementaire ont été effectuées à l'Assemblée nationale ? Non, parce que c'est un fourre tout.

Vous donnez à un président de l'Assemblée 250 millions de dollars au titre de fonds d'intervention, qui est pratiquement une rémunération bis. Vous lui donnez et vous ne surveillez pas où est l'IGF, l'inspection générale des finances avec les missions de patrouille financière? Mais elle n'est pas en mesure de vérifier au niveau de l'Assemblée.

DW : Ce que vous êtes en train de dire, c'est que l'Institut général des finances serait lui-même bloqué dans les patrouilles financières. Il y aurait à un moment donné une incapacité pour elle de faire son travail.

Valéry Madianga : Effectivement, le vrai problème, c'est quoi ? Les comptables publics ne déposent pas des pièces à la Cour des comptes pour que celle-ci puisse vérifier l'exactitude des données et des statistiques. Vous avez des individus qui sont au-dessus de la loi, qui ne veulent pas être redevables.

DW : Pourquoi est-ce qu'ils ne sont pas redevables ? Pourquoi, par exemple, un ministère ou même l'Assemblée nationale n'est pas redevable ? Qu'est-ce qui fait qu'il soit au-dessus de la loi ?

Valéry Madianga : Moi, je peux dire que c'est la légèreté au niveau de l'autorité publique qui ne veut pas contraindre.

Vous avez des alliances politiques, il faudrait qu'on puisse réhabiliter les contrôles, il faudrait qu'on puisse faire en sorte que les contrôles puissent fonctionner, les circuits de la dépense publique puissent fonctionner.

DW : Mais comment ça se fait ? On entend souvent depuis plusieurs années que tel ministère ou même la présidence est en dépassement budgétaire. On parle même parfois de dégraisser les institutions. Ce sont des choses dont on parle, mais qui n'entrent jamais en pratique. Comment ça se fait ?

Valéry Madianga : C'est la délinquance financière. C'est ce que nous pouvons dire. Vous avez des taux de dépassement de 9 000 %. Qui punit qui ?

DW : Alors, on va revenir sur le salaire des députés pour éclairer l'opinion. Ce chiffre de 33 000, vous nous dites qu'il n'existe pas. Est-ce que vous pouvez nous dire de manière concrète et factuelle, aujourd'hui, combien gagne un député en RDC ?

Valéry Madianga : Je vais vous informer que ces députés ont droit en principe aux émoluments. C'est-à-dire que, aux frais d'installation. Les frais d'installation, ça représente les six mois de salaire d'un député.

Si vous regardez par rapport au salaire réel, ce qui a été touché lors de la dernière législature est de 6000 et demi, selon nos informations, 3 000 $, mais je pense qu'ils pourraient gagner 10 000 $ le mois conformément à la loi de finance.

DW : Merci.

Valéry Madianga : Merci.