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Une voix critique

9 août 2011

Fahim Dashty n'a pas peur d'être critique. Ce directeur de publication s'est fait un nom en Afghanistan grâce à son engagement contre les taliban et pour la liberté de la presse.

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Image : DW / M. Gerner

Pour beaucoup d'Afghans, ce n'est pas le 11, mais bien le 9 septembre 2001 qui s'est d'abord gravé dans les mémoires. Ce jour-là, les terroristes d'Al-Qaïda ont perpétré un attentat contre l'un des chefs rebelles les plus connus du pays, Ahmad Shah Massoud, le "commandant Massoud". En tant que tête pensante de l'Alliance du Nord, il défendait la dernière partie du pays qui n'était pas encore aux mains des taliban. Fahim Dashty était lui aussi sur les lieux de l'attentat. Ce directeur de publication de 38 ans se rappelle parfaitement de la scène : « C'est moi qui étais assis le plus près de ceux qui transportaient la bombe. » Massoud était entouré d'un cercle d'auditeurs, parmi lesquels se trouvait Fahim Dashty ainsi que deux journalistes, qui se sont avérés quelques secondes plus tard être en réalité des terroristes. « J'étais assis derrière eux quand ils ont déclenché la charge explosive », se souvient-il.

Cette journée fatidique de septembre

C'est à partir d'un appareil photo que les journalistes - qui agissent pour le compte d'Al-Qaïda - déclenchent leur explosif. Parmi les personnes présentes, plusieurs meurent sur le coup. Ahmad Shah Massoud, le leader charismatique de la lutte contre les taliban et l'occupation russe, en fait partie. « J'aurais dû être touché en premier, estime Fahim Dashty. Je n'étais assis qu'à 50 centimètres derrière eux, alors que Massoud et les autres étaient bien à deux ou trois mètres. » Fahim Dashty survit à l'attentat. Son corps est recouvert de brûlures, et ses cheveux sont carbonisés. Mais si ces blessures guérissent avec le temps, la disparition de Massoud a laissé, elle, un vide encore béant dans l'existence du directeur de publication.

Fahim Dashty Afghanistan Portrait 9 11
Fahim Dashty devant une photo de Massoud, son modèleImage : DW/M.Gerner

Massoud et lui ont pour point commun d'être nés au même endroit. Ils viennent tous deux de la vallée du Panshir, le fief légendaire de la résistance afghane à l'occupation russe. Aujourd'hui encore, des épaves de chars bordent les rives de la vallée. « L'Armée Rouge a attaqué la région à sept reprises, par air ou à terre. Mais elle n'a jamais réussi à s'emparer entièrement de la vallée. Et cela, on le doit à Massoud », dit-il en citant son modèle.

Alors qu'il est encore au lycée, Dashty souhaite rallier les rangs des combattants de Massoud. Mais celui-ci le renvoie à Kaboul afin qu'il termine sa scolarité. Une fois son diplôme en poche, il accompagne les moudjahidines en tant que reporter d'une petite équipe qui tourne un film sur les activités de Massoud. C'est aussi à cette époque-là, en 1993, qu'est créé le Kabul Weekly, l'hebdomadaire du parti de Massoud. Dashty se rappelle de ses débuts en tant que journaliste : « La guerre incessante. Des explosions. Des gens qui mouraient devant mes yeux. Mais j'étais jeune. Pour moi, il était de mon devoir de raconter ce qui se passait. »

Anschlag auf internationale Truppen in Kabul
Fahim Dashty met en garde contre un retrait prématuré des troupes de l'Otan d'AfghanistanImage : picture-alliance / dpa

Le prix de la liberté

En 2002, Fahim Dashty réédite le Kabul Weekly : l'hebdomadaire avait été interdit sous le régime des taliban. Au début, les financements étrangers affluent. Mais Fahim Dashty est un pourfendeur de la première heure du gouvernement d'Hamid Karzaï. Selon lui, le président agit selon les règles de la société clanique afghane au lieu de principes démocratiques. Ses critiques ne restent pas longtemps sans conséquences : « Un jour, un homme important du gouvernement m'a dit "Il se peut que tu aies un accident de voiture". » Mais Fahim Dashti réagit à ces menaces avec flegme et ironie.

En 2009, année électorale, plus d'un million de voix sont falsifiées. Le Kabul Weekly critique ces manipulations et, une fois de plus, Fahim Dashty en paie les conséquences : « Certaines entreprises qui soutenaient la campagne d'Hamid Karzaï publiaient des annonces chez nous et quand elles ont vu à quel point nos articles étaient critiques, elles ont annulé leurs commandes. » Malgré les pertes engrangées à cause de ces annulations, Fahim Dashty réussit à maintenir le journal en vie jusqu'en mars 2011, date à laquelle il est contraint de cesser sa publication. Le nouveau paysage médiatique afghan est rempli de pièges. Fahim Dashty se considère comme une victime de l'économie de marché néolibérale qui règne dans l'Hindou Kouch.

Un avenir incertain

Il apprécie toutefois certaines conséquences de la mission occidentale en Afghanistan. « C'est la première fois en 5.000 ans que les Afghans acceptent une présence étrangère sur leur sol », explique-t-il. Avec sa femme et ses trois enfants, Fahim Dashty habite à Micorayon, dans un lotissement d'immeubles qui date de l'époque soviétique. Le lotissement est apprécié pour ses radiateurs. Fahim Dashty nous montre quelques photos de Massoud, son héros, dont il parle avec un profond respect. Pourtant, pour une partie des habitants de Kaboul, Massoud est co-responsable des bombardements et des nombreux morts du début des années 90, conséquences des combats entre plusieurs groupes de moudjahidines dans la capitale afghane.

Fahim Dashty Afghanistan Portrait 9 11
Fahim Dashty avec Yousuf, son fils de 2 ansImage : DW/M.Gerner

Fahim Dashty considère la situation actuelle avec scepticisme. Selon lui, il est impossible de négocier avec les taliban. Il critique également le retrait des troupes de l'Otan, qui devrait intervenir d'ici 2014 : « Nous commettrions une erreur en suivant le calendrier préétabli. » Cet avertissement face à ce qui pourrait être un retrait prématuré est empreint de cynisme : « Nous les Afghans, nous n'avons pas grand chose à perdre, si ce n'est quelques écoles et quelques hôpitaux. Et quelques vies aussi. » Plus de 2 millions de personnes sont mortes ces 30 dernières années. « Mais si la guerre en Afghanistan échoue, elle se déplacera à Berlin, à Paris, Londres, Madrid et aux Etats-Unis. »

Auteurs : Martin Gerner, Audrey Parmentier
Edition : Ratbil Shamel, Sandrine Blanchard