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"Nous sommes en train de faire du surplace" (Sitack Yombatina Beni)

Blaise Dariustone
28 juillet 2021

Cela fait cent jours ce mercredi que la transition militaire a débuté au Tchad. Sitack Yombatina Beni, juriste constitutionnaliste et un des vice-présidents du parti Les Transformateurs, membre du mouvement citoyen Wakit-Tama, estime que la transition tchadienne n’a connu aucune avancée.

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Pour notre interview de la semaine, nous sommes aujourd’hui au Tchad où ce mercredi marque le 100e jour du début de la transition militaire suite au décès de l’ancien président Idriss Déby, le 28 avril dernier. Et notre invité est Sitack Yombatina Beni. Il est juriste constitutionnaliste et un des vice-présidents du parti Les Transformateurs, membre du mouvement citoyen Wakit-Tama et signataire d’un rapport publié il y a deux jours sur les trois mois de la transition militaire. Un rapport rédigé par plusieurs organisations de la société civile, la diaspora tchadienne et des personnalités indépendantes qui déplorent l’absence de progrès dans la transition militaire en cours au Tchad et qui demandent l’implication de l’Onu dans ce processus.
Sitack Yombatina Beni est interrogé à N’Djaména par notre correspondant sur place, Blaise Dariustone. Entretien...

 

 

 

DW : Docteur Sitack Yombatina Beni, bonjour.

 

Sitack Yombatina Beni : Bonjour !

 

 

DW : Dans un rapport rendu public lundi par plusieurs organisations de la société civile, la diaspora et d'éminentes personnalités tchadiennes où Wakit-Tama est signataire, vous déplorez l'absence de progrès dans l'intervention militaire en cours, notamment le non-respect des résolutions du Conseil de paix et sécurité de l'Union africaine par les autorités militaires ? Hasard de calendrier, ce mercredi marque également le 100ème jours du début de la transitaire militaire au Tchad. Quel bilan faites-vous sur la transition en cours ?

 

Sitack Yombatina Beni : Non seulement ça marque le 100ème jour. Mais si on avait respecté la Constitution, on aurait eu déjà un président de la République démocratiquement élu qui se préparerait, n'est-ce pas, à prendre les choses en main, puisque dans le délai constitutionnel, c'est 90 jours. Or là, nous sommes à cent jours, aucune avancée. D'abord, la charte qui devait être révisée qui a été demandée par l'Union africaine et tous les partenaires, à l'heure où nous parlons, la Charte n'a pas connu une modification. Ensuite, le processus de conférence nationale souveraine n'a connu aucune avancée. Le décret qui veut mettre en place les futurs députés de demain, c'est un groupe de personnes qui constituent le régime passé. C'est eux qui vont choisir des hommes et des femmes qui vont être décrétés pour contrôler l'action gouvernementale. Ce qui est quand même absurde. On avait cru un certain temps que cette junte au pouvoir est arrivée dans des situations troubles et donc devrait travailler justement à poser des actes de réconciliation, des actes de dialogue. Or, on n'a pas avancé d'un iota. Au contraire, on cherche plutôt à acheter les gens de gauche à droite. Même sur les questions de droits de l'Homme, de libertés fondamentales, le tableau est très sombre. Donc, cent jours plus tard, nous sommes en train de faire du surplace.

 

 

DW : Vous dénoncez les multiples violations des droits de l'Homme. Pourtant, contrairement au régime du feu président Déby, la junte militaire tente d'autoriser les marches pacifiques et essaie de dialoguer avec toutes les parties, sauf les politico-militaires.

 

Sitack Yombatina Beni : Je ne pense pas qu'un dialogue puisse faire des caricatures. Ou alors on a un dialogue et ce dialogue doit être inclusif, doit être ouvert. Mais on ne peut pas dire on dialogue avec les uns, on ne dialogue pas avec les autres. Surtout que les problèmes du Tchad sont des problèmes très profonds et donc nécessitent que tous ensemble, nous puissions nous asseoir et que nous puissions, chacun avec son génie créateur, puisse mettre ça sur la table de manière à ce que nous puissions arriver à la fin à nous pardonner avant de nous réconcilier et pour nous projeter sur un avenir radieux. Le CNT choisit les gens avec qui il veut parler, même la réconciliation. On voit que les gens sont en train de rentrer, mais de manière sélective ; ce qui pose problème. Nous avons comme l'impression que le Tchad s'est réduit à une famille, à un clan, à un groupe, sinon à une région.

 

 

DW : Vous demandez au Conseil de sécurité de l'Onu de s'autosaisir du dossier tchadien afin que la transition militaire en cours se fasse dans le respect de la démocratie. Selon vous, quel doit être le rôle de l'Onu ?

 

Sitack Yombatina Beni : Nous sommes en pourparlers aujourd'hui avec plusieurs partenaires. Nous avons discuté avec les Etats-Unis, avec la France, avec le PNUD, l'Union européenne, le Conseil de sécurité des Nations unies sur la transition au Tchad, sur les questions de dialogue. Le message qu'on leur a dit au final : soit vous décidez de nous aider maintenant pour que nous puissions sortir de cette impasse aujourd'hui. Ou alors le peuple tchadien va décider de prendre son destin en main. Tous semblent se cacher derrière l'Union africaine. Nous savons aujourd'hui que l'Union africaine s’est tiré une balle dans ses genoux. En adoubant le Conseil militaire de transition (CMT) avec son chef, l'Union africaine, s'est décrédibilisée. Ensuite, l'Union européenne, à travers les députés européens, ont également désavoué l'Union africaine. Du coup, l'Union africaine part avec des béquilles. Même pour désigner un Haut représentant qui aurait dû être la personne qui va représenter la présence de l'Union africaine, les autorités de la transition ont mis leur véto. Finalement, l'Union africaine a cédé. Aujourd'hui, on nous nomme un Congolais qui est ambassadeur déjà au Tchad. Je vous dis qu'il a déjà présenté ses lettres de créance comme étant l’ambassadeur de l'Union africaine. Il ne peut pas jouer encore le rôle de Haut représentant. Ça fait deux fonctions antinomiques. Ce qui pose problème déjà sur le plan diplomatique, sur le plan d’efficacité du travail. L’Union africaine ne peut rien, elle l'a démontré depuis trois mois. Nous demandons à ce que le Conseil de sécurité des Nations unies qui s'occupe des questions de paix, des questions de la stabilité, parce que la paix du Tchad dépend aussi de la paix régionale. C’est ce j'ai cru comprendre. Donc à ce moment-là, il faut que le Conseil de sécurité se saisisse du dossier du Tchad pour faire en sorte que peut être même on nomme un Haut représentant au niveau des Nations unies. C'est ce qui s'est fait dans plusieurs pays.

 

 

DW : Outre l'appui des partenaires, quelle doit être la marge de manœuvre des forces vives à l'intérieur, que ce soient les partis politiques, la société civile ? Déjà, ne serait-ce que pour la désignation des représentants des différentes couches au comité chargé de l'organisation du dialogue national, les gens n'arrivent pas à s'entendre.

 

Sitack Yombatina Beni : Mais tout ça, c'est parce que la méthodologie qui est mise en place actuellement par le CMT, par le gouvernement en place, elle est médiocre, elle est bancale, elle est mauvaise. Maintenant, il y a plusieurs autres forces. Notre Wakit-Tama, il y a une certaine solidité. La preuve, c'est que d'ici le 29, il y aura une marche sur l'ensemble du territoire. Cette marche-là, nous la voulons une marche d'avertissement. Nous marchons pour exiger au CMT que la charte doit être révisée. Nous marchons également pour envoyer un message fort à l'Union africaine et à tout le reste que soit ils s'impliquent pour que cette transition réussisse, soit le peuple tchadien va prendre les choses en main. Et ce rapport sonne l'alarme pour que chacun joue son rôle si nous voulons sauver le Tchad demain, sinon ça va être la rue qui va gérer finalement cette transition.

 

 

DW : Docteur Sitack Yombatina Beni, je vous remercie.

 

Sitack Yombatina Beni : C'est moi qui vous remercie.