Soumaïla Cissé :"La vérité finit toujours par triompher"
20 août 2018Au Mali, Soumaïla Cissé persiste et signe.
Le chef de file de l’opposition malienne revendique sa victoire au second tour de l’élection présidentielle malienne avec près de 52% des voix contre un peu plus de 48% des voix pour son adversaire et président sortant Ibrahim Boubacar Keïta.
Il rejette en bloc les résultats partiels proclamés par les autorités électorales maliennes. Ce week-end, son parti l’URD et les plateformes d’alliance qui le soutiennent ont tenu un point de presse, puis une grande marche pacifique à Bamako pour dénoncer "la dictature de la fraude" instaurée par le camp du président sortant.
Il en appelle à la communauté internationale pour mettre un terme au "hold-up électoral en cours au Mali".
Soumaïla Cissé a accordé à Mahamadou Kane, le correspondant de la DW à Bamako, cette interview exclusive (cliquez sur la photo ci-dessus pour l'écouter) :
DW : Officiellement, vous êtes le finaliste malheureux du second tour de la présidentielle si l’on s’en tient aux résultats proclamés par le ministère de l’Administration territoriale, mais officieusement, vous êtes le nouveau Président élu du Mali d’après vos propres chiffres. Quelles sera votre marge de manœuvre dans les heures et les jours à venir ?
Soumaïla Cissé: ‘’Je crois que la vérité finit toujours par triompher. Nous avons assisté à une élection qui s’est très mal passée. Déjà au premier tour, tous les candidats ont dénoncé la fraude.
Nous avons voulu sauver ce qui en restait en espérant que l’autre camp allait se ressaisir, allait travailler au moins dans le sens de la transparence. Cette fois-ci, nous ne nous sommes pas laissés faire, nous avons débusqué la fraude et je pense que l’ensemble de la communauté internationale, tous ceux qui sont venus au Mali savent qu’il y a eu fraude et que le Président sortant, s’il est installé dans ces conditions, serait vraiment installé sur du faux.
Alors nous nous sommes évertués à justifier nos chiffres, à les présenter devant le public, devant la presse nationale et internationale pour montrer que dans un bureau de vote qui ouvre pendant 10 heures, on ne peut pas faire voter 250 personnes, a fortiori 700, 800 personnes que nous avons vues dans certains bureaux de vote.
"du bourrage d'urne"
Tout chiffre, tout nombre de votants, tout nombre de bulletins qui dépassent un certain seuil, c’est du bourrage d’urnes. Nous avons donc extirpé cela des résultats officiels, nous avons fait des calculs en conséquence et je sors vainqueur de cette élection avec 51,75% des voix. Nous sommes fondés à dire que nous avons gagné cette élection. Il s’agit maintenant de convaincre le plus grand nombre de Maliens.
C’est pour cela que nous avons tenu dans la transparence à expliquer le schéma avec lequel nous avons fait nos calculs, le schéma vertueux qui conduit à la victoire.’’
DW : Et si vos requêtes ne sont pas prises en compte comme ce fut le cas lors du premier tour de la présidentielle malienne, qu’allez-vous faire ?
SC : ‘’Nous aviserons. Je crois que nous ne sommes pas seuls dans ce combat-là. Lorsque nous voyons des jeunes mobilisés à l’extérieur du pays de façon extraordinaire, nous voyons comment les gens sont mobilisés à Bamako et à l’intérieur du pays, dans les différentes régions, il est évident qu’il y a un mouvement populaire derrière tout cela.
Rien ne résiste au peuple et c’est le peuple qui a toujours raison. Je crois que le peuple sent la vérité, le peuple malien connaît la vérité.
"Ne pas baisser les bras"
DW : D’aucuns estiment que nous n’auriez pas dû aller au second tour compte tenu de l’ampleur de la fraude que vous n’arrêtez pas de dénoncer et que les dés étaient déjà pipés. Que répondez-vous ?
SC: ‘’Mais justement, il ne faut pas baisser les bras. Si j’avais adopté cette attitude, cela voudrait dire qu’on donne un blanc-seing au président IBK pour les cinq années à venir avec aucune chance de réforme pour les cinq autres années à venir.
Notre démocratie allait s’enliser dans une sorte de fatalisme en disant celui qui est pouvoir tant pis sera au pouvoir on sait qu’il a triché, ce n’est pas grave on continue.
Je crois qu’il faut quelques-uns de façon courageuse qui abordent la situation, qui disent nous ne sommes pas d’accord et qui s’investissement pour que ça change.
Si notre victoire n’était pas volée, si nous n’acceptons pas des élections volées, nous allons y arriver. Parce que l’une des premières reformes que je vais faire c’est la réforme du système électoral.
Faire en sorte que ceux qui organisent l’élection soient des personnes indépendantes, des administrations indépendantes, car au Mali, c’est le ministère de l’administration territoriale qui organise l’élection d’un bout à l’autre, d’un bout à l’autre.’’
DW : Oui mais le régime (pouvoir en place) vous reproche d’avoir été quand même de la partie, notamment dans l’élaboration de la nouvelle loi électorale …
SC : ‘’Non ! Être de la partie de la loi électorale lorsqu’on est minoritaire, je vous rappelle que nous sommes au total 33 députés contre 147 à l’Assemblée nationale. Il est évident que notre voix ne compte pas.
Nous avons boycotté, nous avons voté-contre, nous avons fait des motions de censure, nous avons fait des amendements. Mais la loi c’est la loi. C’est la majorité qui décide. Et la majorité a décidée dans son sens.
Vous savez, nous avons bataillé jusqu’au dernier jour, même pour garder nos assesseurs, ceux qui me représentent. Lors du vote, il y a de bureaux dans lesquels, les deux assesseurs étaient malheureusement de la majorité, dans la bataille pour les procurations. Nous nous battons, il faut se battre.’’
DW : Parlons des réactions à l’échelle internationale, le président français Emmanuel Macron, ainsi que son prédécesseur François Hollande ont d’ores et déjà félicité le président IBK pour sa victoire, est-ce-que quelque part cela ne réduit pas votre marge de manœuvre ?
SC : Non ! Je crois que le Mali c’est le Mali, la France c’est la France. Les Présidents Macron et Hollande agissent en tant que Français, et moi j’agis en tant que Malien. Ce qui est sûr c'est que moi je ne vais pas féliciter le Président, parce que la pratique de notre zone consiste à attendre la cour constitutionnelle qui proclame les résultats définitifs du scrutin présidentiel.
La France a peut-être une autre pratique, je la respecte cette pratique. Mais cela ne joue en rien sur notre détermination à poursuivre le combat. Et si nous réussissons le combat, je suis sûr qu’ils nous féliciteront aussi. Je crois que la bonne diplomatie c’est cela. Je ne m’en offusque pas outre mesure.’’