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Ces réfugiés oubliés aux portes de l'Union européenne

Srinivas Mazumdaru | Kathrin Wesolowski
20 juin 2022

Reportage auprès de réfugiés bloqués en Bosnie-Herzégovine.

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A Bihac, sur la "route des Balkans" empruntée par des demandeurs d'asile
A Bihac, sur la "route des Balkans" empruntée par des demandeurs d'asileImage : Dirk Planert/DW

A l'occasion de la journée mondiale des réfugiés, nous nous rendons dans le camp de refugiés de Lipa, situé en Borsnie-Herzégovine. Kiano est un refugié camerounais qui réside depuis près de deux mois dans ce camp. Malgré les conditions de vie et les coups durs qu'il a enduré, Kiano souhaite toujours rejoindre l'Union européenne pour y trouver un travail. La DW revient sur le parcours de ce migrant bloqué aux portes de l'Union européenne.

"J'ai perdu la mère de mes deux enfants pendant la guerre. Elle était tout pour moi", raconte Kiano (nom modifié) en pleurant. Depuis environ deux mois, ce Camerounais vit dans le camp de réfugiés bosniaque de Lipa, près de la ville de Bihac.

Sur la route des Balkans, la police a des méthodes contestées
Sur la route des Balkans, la police a des méthodes contestéesImage : Dirk Planert/DW

Lorsque nous faisons sa connaissance, Kiano se tient devant des conteneurs blancs à l'intérieur desquels une demi-douzaine de réfugiés vivent ensemble, dormant dans des lits superposés.

Il fait environ 30 degrés et il y a peu de places à l'ombre dans le camp. Kiano ne veut pas parler des détails de sa fuite et de sa vie dans le camp de réfugiés. Il préfère le faire quelques jours plus tard au téléphone.

Frontière minée

"Je veux atteindre un pays de l'espace Schengen et y demander l'asile", explique Kiano par téléphone. Bien que le pays voisin, la Croatie, soit membre de l'Union européenne, elle n'appartient pas encore à l'espace de libre circulation Schengen. Des contrôles de passeports ont donc encore lieu aux frontières.

Lire aussi : Reportage auprès des réfugiés du Nord-Kivu

Kiano veut tout tenter pour travailler légalement dans l'UE et faire venir ses enfants, dit-il. Ce trentenaire est en exil depuis 2018. Il explique qu'il est arrivé en Bosnie-Herzégovine via la Turquie et la Serbie.

Le Camerounais a déjà tenté à deux reprises d'entrer dans l'UE par la frontière bosno-croate. Une fois, il est arrivé en Croatie et a presque réussi à atteindre la Slovénie.

Le rêve d’un enfant réfugié

"Après huit jours de marche, de jour comme de nuit, je ne pouvais plus avancer", raconte Kiano. Il s'était blessé au pied. Des Croates auraient appelé la police mais celle-ci lui aurait confisqué, ainsi qu'à ses compagnons de fuite, leur argent et leurs téléphones portables.

"Ils nous ont ramenés, mes amis et moi, à une heure du matin en Bosnie, dans la 'jungle'", affirme Kiano. A la frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, il y a des kilomètres de forêts denses, parfois encore truffées de mines datant de la guerre dans l'ancienne Yougoslavie.

On estime qu'il y a encore environ 200.000 mines et munitions datant de la guerre des années 1990.

Des milliers de renvois illégaux

De nombreux réfugiés du camp de Lipa racontent que la police croate les a expulsés, parfois violemment.

Les organisations de défense des droits de l'homme parlent de 16.000 renvois illégaux à la frontière croato-bosniaque en 2020.

Sur la route des Balkans, la police a des méthodes contestées
Sur la route des Balkans, la police a des méthodes contestéesImage : Dirk Planert/DW

En 2021, une équipe de recherche composée de journalistes, dont ceux de la chaîne de télévision allemande ARD, a filmé les attaques de la police croate ainsi que les blessures des fugitifs. La situation à la frontière n'a visiblement pas changé jusqu'à présent.

Kamran (nom modifié), originaire du Pakistan, raconte avoir été lui aussi expulsé illégalement. "J'ai essayé dix à douze fois d'entrer dans l'UE", dit-il. Lui aussi a été ramené de force en Bosnie-Herzégovine par la police. Une de ses mains et un de ses pieds sont bandés lorsque nous lui parlons.

Kamran ne connaît pas son âge exact. Il a "18 ou 19 ans", dit-il. Il aurait quitté le Pakistan il y a cinq ans et n'aurait pas vu sa mère et ses frères depuis. "Ma mère me manque beaucoup", dit-il.

Camp Lipa : en attendant de rejoindre l'UE

Tous les réfugiés du camp de Lipa veulent entrer dans l'UE. Le camp n'est censé être leur maison que temporairement. Selon les données officielles, celui-ci peut accueillir 1.500 réfugiés, et même 3.000 personnes si nécessaire.

Beaucoup de réfugiés viennent d'Afghanistan, du Pakistan, quelques personnes sont également arrivées de Cuba. Il y a l'électricité, le wifi, l'eau courante et des installations sanitaires.

En raison de la pandémie de Covid-19, des panneaux apposés sur les conteneurs de toilettes demandent aux réfugiés de veiller à leur propre hygiène personnelle. Dans les conteneurs eux-mêmes, l'eau inonde le sol. 

Des réfugiés afghans dans le camp de Lipa, près de Bihac
Des réfugiés afghans dans le camp de Lipa, près de Bihac Image : Kemal Softic/AP Photo/picture alliance

Les réfugiés ne se plaignent cependant pas. "Le personnel fait de son mieux pour nous", dit par exemple Kiano. "Il y a une salle de sport, nous pouvons jouer aux cartes, nous pouvons apprendre des langues comme l'anglais, l'italien, le bosniaque", poursuit-il. La seule chose que les réfugiés n'ont pas le droit de faire, c'est de travailler - ils n'ont pas de permis de travail.

Gagner de l'argent pour s'enfuir

Cependant, les tentatives de fuite ont un coût. Certains hommes racontent qu'il faut parfois payer des taxis, de la nourriture et des boissons pour des marches de plusieurs jours.

Certains reçoivent de l'argent envoyé de l'étranger par leur famille ou leurs amis. D'autres vont en ville et vendent dans la rue des paquets de mouchoirs en papier ou d'autres choses qu'ils trouvent dans les poubelles ou dans la rue.

Sur le passage vers l'UE, par la Bosnie
Sur le passage vers l'UE, par la BosnieImage : Dirk Planert

Certains ont également ouvert de petites boutiques dans le camp pour gagner de l'argent.

Dans un conteneur, un homme que tout le monde appelle affectueusement Chaacha, "oncle" en hindi, a par exemple installé un petit magasin de thé. A côté des lits superposés dans lesquels dorment les hommes, deux bouilloires, des gobelets en plastique, du thé en poudre ainsi que du lait sont disposés sur un petit banc et une petite table.

"A l'intérieur, nous sommes morts"

A quelques conteneurs de là, un réfugié coupe les cheveux d'un autre pour l'équivalent de deux euros. Quelques mètres plus loin, des chips, des bonbons et des jus de fruits s'entassent sur un lit superposé.

Kiano a lui aussi déjà cherché des moyens de gagner de l'argent. Il aurait par exemple déjà vendu ses propres chaussures. Néanmoins, le Camerounais aimerait avoir un "vrai" travail.

"Je suis plombier de formation", explique-t-il, "je veux aller en Europe pour être utile". Quand son pied sera rétabli, il veut essayer à nouveau de passer la frontière.

"Je n'ai pas d'autre option", dit-il. Il ne veut pas retourner au Cameroun, en raison de la guerre civile, même si la fuite est également dangereuse. Un de ses amis serait mort pendant le voyage.

Kiano explique que lui et les autres dans le camp ont eu de la chance. Pourtant, ajoute-t-il, "nous sommes certes vivants mais à l'intérieur, nous sommes morts".