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A Makala, "des prisonniers n'ont plus rien à perdre"

4 septembre 2024

Au moins 129 personnes ont été tuées, selon le bilan officiel, dans ce que les autorités congolaises présentent comme une tentative d'évasion survenue dans la nuit de dimanche à lundi, dans la plus grande prison de RDC: celle de Makala, à Kinshasa. Construite pour accueillir 1.500 détenus, la prison en compte actuellement dix fois plus. Interview avec le journaliste congolais Stanis Bujakera.

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Le journaliste congolais Stanis Bujakera a été incarcéré à Makala pendant plus de six mois. Ce qui s’est récemment passé dans cette prison de Kinshasa ne le surprend pas au regard des conditions inhumaines dans lesquelles vivent les détenus. Il est notre invité cette semaine.

Suivez l'interview avec Stanis Bujakera en cliquant sur la photo ci-dessus

 

DW: Il y a quelques mois, vous étiez emprisonné à la prison centrale de Makala en République démocratique du Congo. Quel regard portez-vous sur les récents événements qui s’y sont déroulés ?

Stanis Bujakera : Le fait que de telles situations n’aient pas eu lieu plus tôt relève du miracle parce que tous les ingrédients sont réunis : la surpopulation, les conditions de vie humaines, les difficultés des gens à accéder à une véritable justice, les problèmes d'eau, les problèmes d'électricité, ce sont conditions qui sont difficiles.

Dans tout ce qui s'est passé, malheureusement, des gens ont été tués, des femmes ont été violées par des prisonniers. Il y a plusieurs facteurs qui contribuent à la situation qui se passe actuellement à la prison de Makala.

 

DW: Que s’est il réellement passé ? On parle d'une coupure d'électricité et de détenus qui ont voulu aller prendre l'air à l'extérieur. La police aurait paniqué et se serait mise à tirer. Est-ce c'est la version que vous avez?

Stanis Bujakera : Je pense qu'il faut parler en termes de facteurs. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent contribuer à des situations pareilles plutôt que de parler des problèmes d'électricité. J’ai passé près de sept mois dans cette prison. On a passé beaucoup de jours sans électricité. Je ne pense pas que ce soit à cause du manque d’électricité que les prisonniers se sont mis en colère.

Quand je me suis entretenu avec des sources sur place, on m’a expliqué que ce sont des événements qui sont partis d'un pavillon, le pavillon quatre. C'est un des pavillons les plus surpeuplés à Makala. C'est un pavillon qui loge plusieurs catégories de détenus, notamment des détenus venus de l'intérieur, notamment certains miliciens Mobondo, et bien d'autres groupes.

 

DW: Peut-on vraiment encore parler d’une tentative d’évasion ?

Stanis Bujakera : On ne peut pas parler d'évasion tant que des prisonniers n’ont  pas quitté la prison. Comment expliquer qu’un prisonnier qui veut quitter la prison va d'abord au pavillon où se trouvent des femmes pour les violer ? Pour moi, il s’agit peut-être d’un mouvement de révolte interne au regard des conditions qui sont, comme je l'ai décrit, très graves.

 

DW: Cette situation était-elle inévitable ?

Stanis Bujakera : Le fait que cela ne se soit pas produit plus tôt relève du miracle parce que tous les ingrédients sont réunis à Makala pour vivre de pareilles situations.

Malheureusement, des personnes ont perdu la vie parce que les faits se sont déroulés la nuit. Les militaires qui assurent la garde à Makala ont dû sûrement paniquer quand ils ont vu des centaines de personnes occuper les couloirs à ces heures-là au sein de la prison. Et puis j'imagine qu'il y a des gens qui se sont marché dessus au regard de la surpopulation.

Parmi les détenus, il y en a des plus forts, des plus faibles, des malades etc. Il y a eu des mouvements de masse. Il faut que l'Etat arrive à prendre des décisions sérieuses.

 

DW: En parlant de décision, récemment le ministre de la Justice a dit que la prison allait être désengorgée et que des mesures allaient être prises. Il s'est même rendu sur place. L'Etat fait quand même quelque chose non? Ou selon vous, il peut faire plus?

Stanis Bujakera : Entre les paroles et les actes, il y a toujours un écart.

On peut beau annoncer avoir libéré 1.000 personnes, mais si dans les faits il y en a à peine 200 qui sont libérées, et même si on arrivait à en libérer 500 par semaine, entre temps, Makala reçoit jusqu'à 500 personnes par semaine, ce sont des nouveaux détenus.

Il faut aller vers des solutions structurelles et non des solutions pour répondre à des crises immédiates. Il faut des réformes profondes tant au niveau carcéral qu’au niveau judiciaire.

 

DW: Comment se passe la cohabitation entre prisonniers ?

Stanis Bujakera : On cohabite avec des prisonniers qui n'ont plus rien à perdre. Alors tout ce que vous avez à faire, c'est trouver des compromis pour cohabiter. 

Généralement, pour ceux qui ont des moyens, ils trouvent des ententes et pour ceux qui n'ont pas de moyens, c'est grave cette situation.

Dans cette prison de 15.000 personnes, il y a au moins 600 femmes, même si elles ont un pavillon dédié, voilà qu'à la première occasion, elles ont été violées. Dans cette prison, il y a au moins 500 mineurs. Quand on parle de mineurs, il y a même des enfants de onze ans et souvent il y a même des bébés.

Je ne pense pas qu'on doit présenter Makala comme une prison, mais plutôt un centre de concentration.