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Pour une poignée d'or et de charbon

Vu d'Allemagne
22 décembre 2021

Après avoir évoqué les conséquences environnementales et sanitaires de l’exploitation minière la semaine dernière, nous poursuivons notre excursion entre l’Allemagne et le Burkina pour aborder ses conséquences sociales... Préparez votre revolver et vos éperons, car c’est au far west que démarre ce numéro de Vu d’Allemagne !

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Des bruits de sabots sur une piste poussiéreuse... et soudain trois cowboys à cheval apparaissent à l’écran, traversent le village de Kalsaka, manquant de renverser des villageois.  

Ce n’est pas un hasard si le documentaire “Pas d’or pour Kalsaka” a des allures de western: le réalisateur Michel K. Zongo a voulu partager ses impressions lorsqu’il a découvert pour la première fois les alentours de la mine d’or qui a fait le malheur du village burkinabè. 

"Quand je suis arrivé, j’ai vu le village. C’était la saison sèche, le soleil ardent. J’ai vu un village presque vide et avec la poussière qui se lève et les collines fendillées et l’herbe sèche. J’ai pensé à un décor de western, j’avais l’impression d’être aux États-Unis. Et après j’ai commencé à voir l’or, donc rapidement toutes ces choses ont commencé à se mettre en place.” 

À Kalsaka, l'exploitation de l’or devait apporter richesse et prospérité à la communauté villageoise. Mais les témoignages des habitants recueillis par Michel Zongo montrent l’ampleur des promesses non tenues. 

“Dans le film il y a un ministre qui dit: on va créer des routes, des emplois pour les jeunes, on va donner des bourses, construire des écoles, des maternités... À la fin il n’y a rien de tout cela. Ils ont construit une école de trois classes qui n’est pas équipée. Ils ont construit une maternité, juste les quatre murs... De toutes les promesses il y a 0,01% qui a été fait, donc rien.” 

Des villages rayés de la carte au nom du charbon

À plusieurs millers de kilomètres de Kalsaka, le ciel a une couleur laiteuse malgré le soleil qui brille... Le paysage qu’on aperçoit par la fenêtre du car qui nous mène de la mine de Garzweiler à la forêt de Hambach est triste et stérile.  

C’est la poussière de la mine qui donne cet aspect aux environs, explique Jonas, le guide de l’excursion organisée dans le cadre du Festival du Film africain de Cologne

Le car traverse un village. À gauche, une église manifestement abandonnée. Elle est entourée de barrières à moitié défoncées. Plus loin, on passe devant quelques maisons aux fenêtres barricadées dans ce qui semble être l’ancienne rue principale du village.     

“Nous tournons ici dans le village d’Alt-Mannheim... Avant c’était un village plein de vie, aujourd’hui il reste six habitants. L’église que vous voyez ici est pratiquement le seul bâtiment encore debout. Avant il y avait des maisons partout, mais RWE les détruit aussi vite qu’il le peut.” 

L'église d'Alt-Mannheim est encore debout mais abandonnée
L'église d'Alt-Mannheim est encore debout mais abandonnéeImage : Anne Le Touzé/DW

Mannheim est l'un des 130 villages et lieux-dits qui ont été ou doivent être relocalisés d’ici à 2038 hors de la zone d’exploitation de la mine, à des kilomètres de leur emplacement d’origine.  

Avec eux, ce n’est pas seulement une partie du patrimoine architectural régional qui disparaît. Ce sont aussi des communautés villageoises qui sont dissoutes au nom du charbon. Une dissolution qui a lieu d’ailleurs bien avant la délocalisation effective des villages concernés... 

“Voilà comment ça se passe en général: avant même qu’un village apprenne qu’il allait être relocalisé, des gens de RWE y sont allés, ils se sont renseignés dans les cafés pour identifier les habitants les plus influents", affirme Jonas. "RWE a passé des accords secrets avec eux. Ils leur ont proposé un prix plus élevé pour leurs maisons s’ils acceptaient de vendre tout de suite... Le but était de diviser le village, de créer de l’envie et des conflits, pour empêcher les habitants de s'unir pour résister.” 

Des paysans expropriés pour les besoins de l'or

Les destructions d’habitations, il y en a eu aussi à Kalsaka. Mais c'est surtout le sacrifice des terres cultivables qui a laissé un goût amer aux villageois qui témoignent dans le film de Michel Zongo.  

Des paysans qui n’ont pas eu d’autre choix que d’accepter la compensation offerte par la compagnie pour le rachat de leurs terres à 220.000 FCFA l’hectare, calculés sur la base du prix de huit sacs de mil... et seulement pour cinq ans. 

“Comme c’était une décision du gouvernement, on ne pouvait pas dire non", regrette un paysan exproprié. "On ne pouvait pas aller contre la loi et encore moins contre les décisions du président. Le président leur avait dit qu’ils pouvaient avoir nos terres.” 

Un autre se souvient : “Ils sont venus en plein milieu du cycle agricole, alors que le mil était prêt à être récolté, et ils ont tout détruit.” 

Les habitants de Kalsaka se sentent trahis par les autorités de leur pays
Les habitants de Kalsaka ont tout perdu et se sentent trahis par les autorités de leur paysImage : DIAM Production

À l’époque, la compagnie minière n’a pas eu de mal à imposer ses conditions. Dans le film de Michel Zongo, Adama Ouédraogo, devenu entretemps maire de Kalsaka, explique cela par l’ignorance de son prédécesseur. 

“Au début, il n’y avait pas de mairie, mais quand elle est venue s’installer il manquait beaucoup de compétences. Le maire, le directeur général et le comptable, ce sont les trois compétences d’une commune rurale. Et pourtant il y a beaucoup de textes qui entourent l’exploitation minière. Le temps que tout le monde s’imprègne de ces textes, la mine est partie et il n’y a aucun investissement.”  

La complexité du code minier n’a pas seulement posé un problème aux maires des communes rurales dans lesquelles les compagnies minières se sont installées lors du boom minier au Burkina Faso. Selon Michel Zongo, c’est l’État burkinabè lui-même qui s’est laissé berner par les multinationales. 

"A cette période, le code minier du Burkina a été taillé sur mesure des exploitants miniers. C’est d’ailleurs eux-mêmes qui ont proposé le code minier à notre pays. C’est comme si on était dans les premières années de l’esclavage, c’est incroyable! C’est eux qui viennent pour vous exploiter et qui vous proposent le code minier de comment on va vous exploiter.” 

Comme dans les villages autour de la mine en Allemagne, la compagnie minière de Kalsaka a joué sur les divisions pour éteindre toute velléité de résistance au sein de la population, se souvient encore le maire Adama Ouédraogo dans le documentaire : “En plus de cela c’était des per diem à chaque rencontre. Et quand les gars commencent à s’exciter on envoie 10 tonnes de riz, ou de sucre... on détourne les problèmes. Et quand on vous envoie le riz, la bagarre de trouve autour de la distribution et non dans la revendication des infrastructures socio-économiques.” 

Jean-Baptiste Sawadogo a tenté de protester contre la mine mais s'est retrouvé isolé
Jean-Baptiste Sawadogo a tenté de protester contre la mine mais s'est retrouvé isoléImage : DIAM Production

Dans le film, le chef de village raconte comment la compagnie Kalsaka Mining a détruit la pierre sacrée de la colline alors qu’elle s’était engagée à la préserver. C’est devant cette pierre que les habitants venaient déposer des offrandes pour garantir la prospérité et la fertilité du village. 

“Quand ils ont cassé la pierre sacrée du village, il y a eu beaucoup de manifestations", rapporte Michel Zongo, d'après ce que lui a raconté Jean-Baptiste Sawadogo, dit "JB, l'activiste qui l'a guidé sur le site de la mine dans le premier épisode de cette émission "Il était une fois... à Garzweiler et Kalsaka".

"Ils ont bloqué la mine pendant des semaines. Il y a eu des négociations et à la fin on a utilisé tous les moyens de pression pour casser la lutte. Il y a eu de l’activisme qui a été assimilé rapidement à de la politique. On disait de JB qu’il s’opposait développement de la ville. Et du coup il a été jeté par les siens qui estimaient qu’il critiquait parce qu’il n’avait pas les avantages de la mine.” 

Lützerath résiste à RWE

En Allemagne, la résistance à la mine de Hambach-Garzweiler s’est organisée au fil des décennies et ces dernières années, elle s’est considérablement développée à la faveur des mouvements de lutte pour l’environnement.  

Comme Jonas, Robin fait partie des militants qui s’opposent physiquement au passage des pelleteuses de RWE. La méthode a fait ses preuves en 2018, lorsque des milliers d’activistes ont construit des cabanes dans les arbres pour empêcher la destruction de la forêt de Hambach, située sur le périmètre de la mine.  

“A la mine de Garzweiler, il y a encore six villages qui sont menacés de destruction, mais il y a une résistance très active des habitants qui ne veulent pas céder face à RWE", raconte Robin. "Ils ont demandé aux activistes de la forêt de Hambach de venir les soutenir et c’est ce qui se passe depuis un an.” 

Manifestation du 31 octobre 2021 à Lützerath
Des milliers de militants écologistes sont mobilisés pour sauver Lützerath contre le charbonImage : Bernd Lauter/AFP/Getty Images

Le prochain village concerné par les destructions, c’est Lützerath. La destruction des maisons a commencé en janvier 2021 et aujourd’hui, les machines à extraire le charbon ne sont plus qu’à 200 mètres. 

Mais Lützerath n’a pas dit son dernier mot: son dernier habitant, un agriculteur propriétaire d’une ferme du 18ème siècle et menacé d’expulsion, est soutenu depuis un an par environ 200 activistes qui ont planté leur campement sur sa propriété et on fait du lieu une ZAD, une zone à défendre. 

“On veut utiliser ce campement pour protéger les arbres qui sont dans le village et sur la propriété de la destruction, mais aussi occuper les prairies et les maisons et obliger la police à nous déloger.” 

Greta Thunberg est venue en septembre à Lützerath et fin octobre, une manifestation a rassemblé plus de 5.000 personnes pour protester contre l’avancée de la mine.  

Après la forêt de Hambach, le village est devenu le symbole de la lutte contre l’exploitation minière qui fait la sourde oreille au réchauffement climatique. 

Les orpailleuses de Kalsaka revendiquent leurs droits

À Kalsaka, la plupart des habitants qui ont tenté d’obtenir des réparations par les voies légales ont abandonné en cours de route.  

Alors une autre forme de résistance a émergé avec les orpailleuses, qui viennent chaque jour au bord de l’eau pour récolter de la poussière d’or. Au risque de se faire chasser par le service de sécurité de la mine.  

“Ils nous battent si on va de l’autre côté de la clôture", raconte une jeune femme en riant. "Ils sortent pour nous battre et jettent nos outils dans l’eau. Mais on revient toujours. Même aujourd’hui ils sont venus pour nous chasser mais on est revenues dès qu’ils sont partis.” 

Les orpailleuses qui ont toujours ramassé de la poussière d'or ne veulent pas être des "mendiantes" dans leur propre pays
Les orpailleuses qui ont toujours ramassé de la poussière d'or ne veulent pas être des "mendiantes" dans leur propre paysImage : DIAM Production

À Hambach, c’est une jeep blanche de la sécurité de RWE qui dépasse le bus de l’excursion lorsque celui-ci s’engage sur la route de la forêt... Jonas connaît bien ce service de sécurité privé. // Hambach, justement, nous y voilà... Lorsque le bus de l’excursion s’engage sur la route de la forêt, il est dépassé par une jeep blanche du service de sécurité privé de RWE... Ce service, Jonas le connaît bien. 

 Au plus fort de la contestation en 2018, il comptait des centaines de recrues chargées de faire pression sur les activistes, parallèlement à la police. En face, plus de 50.000 militants étaient bien déterminés à empêcher la destruction de la forêt. Une lutte de plusieurs semaines, qui s’est soldée par une victoire. 

“Le cours de l’action de RWE a énormément chuté au cours de ces semaines, tout comme la cote de popularité du gouvernement régional qui avait envoyé la police", se souvient Jonas. "La pression politique était énorme et on a réussi à négocier pour que la préservation du reste de la forêt soit inscrite dans la loi car elle avait revêtu une dimension symbolique très forte.” 

Trois ans plus tard, quelques dizaines d’activistes occupent encore la forêt de Hambach, dans des cabanes perchées dans les arbres à une dizaine de mètres du sol. Les machines de RWE se sont arrêtées à 50 mètres.

Les jeunes qui vivent ici sont à la recherche d’un autre mode de vie, en harmonie avec la nature et ouvertement anticapitaliste.  

Le campement est bien organisé à Hambach
Le campement est bien organisé à HambachImage : Anne Le Touzé/DW

Pour eux, la justice climatique passe par un changement de système.

Au Nord comme au Sud, "pas de frontière de lutte"

Sur ce point, Jonas l’activiste allemand et Michel Zongo le réalisateur burkinabè se rejoignent pour faire le lien entre Hambach et à Kalsaka. 

“A Hambach, c’est vrai que les gens doivent déménager perdent leur maison, les agriculteurs perdent leurs terres mais ce n’est pas une question de survie", souligne Jonas. Selon lui, cela représente "une grande différence par rapport à la réalité au Burkina où les gens doivent lutter pour avoir de l’eau et pour survivre. Ici même si on a des problèmes similaires, on a des privilèges qui sont connectés avec l’histoire du colonialisme.” 

“Les causes sont communes, on a les mêmes problèmes", confirme Michel Zongo. "Les Européens et les Africains ont le même combat: le combat de la vie et de la dignité et contre le néocapitalisme qui est devenu comme une gangrène. Il faut que le droit de la vie et de jouir de la nature puisse revenir en surface. Il n’y a pas de frontière de lutte.” 

Reportage Garzweiler Tagebau | Exkursion
Image : Anne Le Touzé/DW

L’excursion à Hambach, couplée à la projection du film de Michel Zongo, résonne aussi pour d’autres invités du Festival du film africain, comme la réalisatrice nigérienne Aïcha Macky. 

“Le fait de visiter Hambach m’a permis de comprendre que peu importe où il se trouve, le capitalisme a le même visage. Il place l’économie devant l’humain et faire ce couplage avec cette visite et le film de Michel Zongo, cela permet de voir un parallèle entre les luttes qui se passent dans des endroits différents mais qui ont à la fin le même objectif: la recherche du mieux-être tout simplement.” 

Le film de Michel Zongo a permis de réaliser des analyses sur les points d’eau de Kalsaka pour évaluer les niveaux de contamination. Il a aussi eu un impact politique: la mine a été revendue, mais à l’heure actuelle l’exploitation est suspendue.  

 

 

Merci à Michel Zongo, Jonas, Robin et à l’équipe du festival du Film africain de Cologne qui ont permis ce reportage. Vu d’Allemagne est un magazine radio hebdomadaire, proposé par Hugo Flotat-Talon et Anne Le Touzé, diffusé le mercredi et le dimanche à 17h30TU, et disponible aussi en podcast. Vous retrouvez tous les numéros dans la médiathèque, à écouter en ligne ou à télécharger en format MP3. Le podcast est également disponible sur certaines plateformes de podcasts.