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Patrick Mboma : "Le report de la CAN n'est pas surprenant"

1 juillet 2020

L'ex-international camerounais admet que le Comité Exécutif de la CAF a pris des décisions sous la contrainte. Il dit comprendre la difficile position des dirigeants.

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Portrait de Patrick Mboma, ancien international Camerounais
Patrick Mboma pense qu'il est difficile de fixer des dates sans savoir les développements qu'aurait la pandémieImage : Imago Images

Les instances du football africain ont annoncé ce mardi (30.06.20), un calendrier révisé des compétitions avec le report d'un an de la Coupe d'Afrique des nations, initialement prévue au Cameroun du 9 janvier au 6 février 2021. La compétition est désormais programmée pour avoir lieu en 2022 au Cameroun.

Ci-dessous, la réaction de Patrick Mboma dans une interview exclusive à la DW.

Monsieur Mboma, que pensez-vous de ce report de la CAN 2021 ?

Depuis plusieurs semaines, j'ai fait le tour de la question et je m'étais dit qu'il était inévitable de reporter la CAN. La raison principale, qui me semblait évidente, c'est qu'il restait quatre matches de qualifications à disputer, et il n'y avait que deux dates de disponibles. Je ne voyais pas comment on pouvait insérer deux autres dates pour finir ces qualifications. Il est vrai que la crise de la Covid-19 est très perturbante. Si l'on ne pouvait pas jouer de matches de qualification, je ne voyais pas par quels critères on allait engager les équipes à cette CAN. Comme il semblait impossible d'arriver au mois de janvier avec les 24 qualifiés, il fallait penser à un report.

En ce qui concerne le report, il n'y avait pas 36 possibilités. J'imaginais bien que ça ne pouvait pas l'être avant le mois de juin. Le problème du mois de juin, c'est la concurrence avec les compétitions continentales d'Amérique du Sud et d'Europe. Je trouvais qu'il était compliqué de venir défier la Copa América et l'Euro de football. Voilà pourquoi je ne suis pas surpris de ce report d'un an.

 

Si la CAN 2021 est reportée à 2022 pour des raisons sanitaires, le ChAN 2020 se déroulera lui en janvier 2021 - à la date prévue au départ pour la CAN 2021. N'est-ce pas là une décision risquée, puisque, comme l'a dit Ahmad Ahmad, le président de la CAF, on ne sait pas comment la pandémie va évoluer dans les prochains mois ?

Je pense aussi qu'on se dit que la pandémie est moins forte en Afrique qu'en Europe ou en Amérique ou en Asie. On oublie peut-être le risque sanitaire, à moins de penser que le ChAN se déroulera à huis clos, ce qui n'est pas très excitant. Cela introduit le doute : on a l'impression qu'il est moins grave de repousser le ChAN encore une fois et au dernier moment, plutôt que la CAN. C'est du moins ma lecture des choses.

Patrick Mboma sous le maillot des Lions Indomptables
Patrick Mboma buteur face au Chili lors de la Coupe du monde 1998Image : Getty Images/Bongarts/M. Sandten

Par ailleurs, j'ai l'impression que, partout dans le monde, des avis sont évoqués comme s'il s'agissait de vérités. J'entends par exemple que tel tournoi de tennis ou de football est reporté, ou encore que les Jeux Olympiques sont reportés. Seulement, rien ne nous dit que la pandémie ne sera pas aussi active qu'elle a été il y a encore deux mois. Si je prends l'exemple de la France où je me situe aujourd'hui, on parle de cette pandémie comme si on maîtrisait les choses et on programme déjà des événements pour les mois et les années à venir. Le ChAN est désormais programmé en janvier, c'est enregistré tel quel dans mon esprit. Mais même si je le souhaite, honnêtement, je ne suis pas sûr que ça pourra vraiment se dérouler en janvier.

 

L'idée était peut-être de donner des dates pour rassurer les gens quant à une possible maîtrise des choses...

C'est le problème quand on a des décisions à prendre et que l'on est face à un phénomène complètement nouveau comme cette pandémie de coronavirus. Je plains les décideurs, les chefs d'État, les chefs de gouvernement et les patrons de structures comme les confédérations de football, parce qu'il faut donner des arguments que l'on ne possède pas, il faut donner des précisions que l'on ne peut pas donner. Car au final, tout reste approximatif. Ceci étant, si l'on ne dit rien, on va se faire taper dessus par les médias et l'opinion publique, car cela va donner l'impression qu'on ne travaille pas.

Honnêtement, je ne sais pas comment on fait pour décider si c'est une bonne chose ou pas d'avoir arrêté un championnat, comme c'est le cas en Belgique, aux Pays-Bas ou en France. Si c'est bien ou pas d'avoir repris, comme c'est le cas en Allemagne ou en Angleterre. Décider ensuite que ceux qui ont eu raison, ce sont ceux qui ont voulu poursuivre, et que ceux qui ont tort, ce sont ceux qui se sont arrêtés. Imaginez si demain, on entend que le football a causé le retour de la pandémie : on dira encore que c'est le football qui a voulu défendre ses intérêts, et que les dirigeants ont tenu envers et contre tout à faire des choses qu'il ne fallait pas faire. Cela vaut pour le football comme pour d'autres disciplines, d'ailleurs. C'est le cas de l'Adria Tour, en tennis, qui a arrêté parce que des joueurs ont été testé positifs. Je pense que c'est compliqué d'être à la décision aujourd'hui, on peut critiquer les dirigeants autant qu'on veut, mais on ne maîtrise rien. C'est la première fois de l'histoire de l'humanité que l'on fait face à un tel phénomène. Il faut bien en prendre le contrôle.

Ahmad Ahmad, président de la CAF
Ahmad Ahmad a annoncé une série de mesures pour le football africain dans les années à venirImage : picture-alliance/dpa/Str

 

Pour l'heure, la CAN 2023 en Côte d'Ivoire est maintenue. Avec la CAN et la Coupe du monde au Qatar en 2022, cela risque de donner un calendrier très serré pour les sélections africaines...

Si la compétition est maintenue, quand est-ce qu'auront lieu les éliminatoires pour cette Coupe du monde en zone Afrique ? Est-ce que tout cela ne va pas se chevaucher, avec des équipes qui vont devoir en même temps se qualifier pour une CAN en janvier et une Coupe du monde en novembre ? Je trouve cela difficile d'avancer certaines choses aujourd'hui. Il va falloir une programmation bien précise, et je ne vois pas comment on peut être précis aujourd'hui, avec la pandémie. Dire que la CAN se jouera bien en 2023, c'est avoir une boule de cristal. Or moi, je n'en ai pas. Je laisse encore les décideurs dans leur difficile situation. Personnellement, je ne suis convaincu de rien, même de cette Coupe du monde à la fin de l'année 2022. On est au milieu de l'année 2020 et on ne maîtrise pas la situation des prochains mois.

Il y a beaucoup de spéculations. Oui, il y a la poursuite des championnats européens qui ont bien voulu poursuivre, il y aura peut-être la poursuite de la Ligue des Champions en Europe. Peut-être qu'un peu partout dans le monde, il y a des championnats qui vont commencer la nouvelle saison dans quelques jours ou quelques semaines. Mais peut-être qu'il n'y aura rien de tout ça, car au final, rien ne dit qu'on ne se retrouvera pas encore dans la situation déplorable dans laquelle nous étions il y a quelques mois. Une situation qui reste déplorable dans beaucoup d'endroits du globe, d'ailleurs.

 

C'est une bonne idée, ces "Final Four", pour terminer la Ligue des Champions de la CAF et la Coupe de la Confédération ?

Encore une fois, cela reste une idée imposée par une situation particulière. Je pense qu'on n'aurait jamais pensé à ça s'il n'y avait pas eu cette situation encore une fois inédite. Enfin, jamais... Il y a quelques années, j'avais pensé que ce serait une bonne chose pour l'Afrique d'organiser un Final Four dans une grande ville, dans un grand stade pour pouvoir attirer du public. Mais même là, je n'étais pas convaincu que le stade se remplisse tout le temps lors des 4-5 matches de la compétition. Il faut définir les raisons pour lesquelles on organise un "Final Four" ou un "Final Eight" : est-ce pour terminer une compétition, et ce sans public ? Est-ce pour réunir la crème de la crème d'un sport au cours d'une période donnée ? A cette occasion, il y aurait beaucoup de public et beaucoup de business autour. Il faut vraiment regarder les tenants et aboutissants pour dire si c'est bien ou pas. Aujourd'hui, une décision a été prise, et encore une fois, elle a été prise parce qu'on a été contraint de la prendre. Est-ce une bonne idée ? Disons que ce n'est pas la plus mauvaise.

Vous savez, j'ai du mal à dire si les décisions prises sont bonnes ou pas. C'est très facile de dire : "Oh, le Ministre de la Santé de tel pays n'a pas réagi au bon moment". Personne ne pouvait prévoir un tel événement. Quatre milliards de personnes se sont retrouvées confinées, quand même. Je suis bien content de ne pas être aux commandes.

La CAF a également annoncé la création d'une Ligue des Champions féminine. C'est une décision qui arrive à point nommé ?

Si l'on exclut les problématiques sanitaires, c'était le bon moment. Ce n'est pas une idée qui sort de nulle part, les décideurs ont dû mûrir leur projet. Je pense que c'est une bonne chose que de développer le football féminin. On peut arriver à de très bons résultats parce qu'on a beaucoup de joueuses. En insistant un peu, le continent africain peut se retrouver avec des équipes et des joueuses qui peuvent rapidement se retrouver parmi les meilleures au monde. Cela permettrait de trancher avec le retard que l'on a eu dans le football masculin pour des raisons d'éloignement à l'époque, soit pour des raisons d'économie, de structuration et tout ce que l'on veut.

Christine Manie et Annette Ngo Ndom célèbrent l'égalisation du Cameroun face aux Pays-Bas
Pour leur deuxième participation à un Mondial, les Lionnes Indomptables étaient parvenues en huitièmes de finaleImage : Reuters/B. Szabo

Si on veut se mettre au niveau des nations comme la Chine, les Etats-Unis ou encore la France,il faut bosser dur aujourd'hui pour avoir rapidement des résultats. Pour moi, c'est le postulat de base. Maintenant. Il faut réfléchir aux pistes de développement pour le football féminin. La Ligue des Champions féminine en est une. Après, je pense qu'il ne faut pas simplement copier-coller ce qui se fait chez les hommes ou ce qui se fait ailleurs. Il faut avoir une réflexion afro-africaine, c'est à dire comment procéder pour obtenir des résultats. Par exemple, étant donné que le football féminin n'attire pas autant que son pendant masculin, et étant donné que chez les hommes, les frais de déplacements sont importants, ne faudrait-il pas créer des compétitions par zones, et ensuite un tournoi final avec ces clubs des différentes zones. Il ne faudrait pas qu'une Ligue des Champions féminine se mette à coûter de l'argent à la CAF, comme la Youth League (Ligue des Champions des jeunes en Europe) coûte de l'argent à l'UEFA. Il faut que la compétition en vaille la peine sur les plans sportif et financier.

 Ali Farhat, Redakteur DW Afrique
Ali Farhat Journaliste au programme francophone de la Deutsche Wellederpariser