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"Le pouvoir s’acquiert dans les urnes, pas au bout du fusil"

16 août 2023

Théodore Holo est juriste et un ancien président de la Cour constitutionnelle du Bénin. Au micro de la DW, il s'exprime sur le coup d'Etat du 26 juillet au Niger et sur les tentatives de résolution de la crise provoquée par la rupture de l'ordre constitutionnel dans ce pays.

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Le juriste de haut niveau et ancien président entre autres de la Cour constitutionnelle du Bénin, Théodore Holo est notre invité de la semaine. Il s'exprime sur le coup d'Etat du 26 juillet au Niger et sur les tentatives de résolution de la crise provoquée par cette rupture de l'ordre constitutionnel. Théodore Holo s'est prêté à une longue interview avec Fréjus Quenum dont nous vous proposons ici un extrait.

Ecoutez Théodore Holo en cliquant sur l’image ci-dessus.


DW : Le 26 juillet dernier, au Niger, des militaires ont pris le pouvoir. Que pensez-vous de ce type de prise du pouvoir qui a tendance a se répéter ces derniers temps, notamment en Afrique de l’Ouest ?

Théodore Holo : Le pouvoir s’acquiert au fond des urnes, pas au bout d’un fusil. Voilà pourquoi je condamne les coups d’Etat qui sont une rupture de l’ordre constitutionnel. Ca peut être le fait d’autorités militaires mais aussi d’autorités ou d’organes constitutionnels. Par exemple, la modification opportuniste de la Constitution pour s’octroyer un troisième mandat est tout aussi blâmable qu’un coup d’Etat militaire.

 

DW : Permettez que nous parlions d’abord du coup d’Etat militaire. Les militaires qui ont pris le pouvoir au Niger, au Mali, au Burkina Faso, en Guinée ou ailleurs estiment qu’ils ont agi de la sorte parce que les civils qui sont au pouvoir, ceux qui détiennent le pouvoir au moment où survient le coup d’Etat, n’exercent pas bien cette fonction. Est-ce que les militaires sont alors légitimés pour mettre fin à ce qu’ils estiment être une mauvaise gouvernance ?

Théodore Holo : Je vous rappelle que le pouvoir appartient au peuple. Les militaires n’ont aucune légitimité pour se poser en arbitres. Lorsqu’un militaire estime qu’il a des idées qui peuvent faire progresser son pays, il démissionne de l’armée, créée son propre parti politique, ou il est candidat à une élection présidentielle. Et c’est investi par la volonté populaire, sur la base de son programme auquel adhère le peuple qu’il peut exercer le pouvoir.

Lorsque le peuple n’est pas satisfait de l’exercice du pouvoir, on trouve d’autres cadres constitutionnels et juridiques. Ce n’est pas à l’armée de se poser en arbitre parce que les soldats sont formés pour défendre le territoire, et non pas pour exercer le pouvoir.

Et je n’ai pas le sentiment que très souvent les militaires réussissent dans ces tâches.

 

DW : D’une élection à l’autre, qui doit veiller que tout fonctionne bien ? Parce que les militaires invoquent le fait qu’il n’y a pas cet arbitre et que eux sont mieux structurés pour intervenir...

Théodore Holo : Dans le cas du Niger, je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu une crise en cours par rapport à laquelle des manifestations populaires aient poussé l’armée à intervenir, comme cela a pu être le cas au Mali avec les nombreuses manifestations contre le président Ibrahim Boubacar Keita.

 

DW : Mais il y a quand même eu au Niger, après le coup d’Etat, des manifestations pour soutenir l’armée.

Théodore Holo : Oui il y a eu des manifestations autorisées, mais d’autres non. Des partisans du [président déchu] Bazoum ont voulu défiler et on les a dispersés. Ce qui veut dire qu’il y a une discrimination. Je constate que les manifestants [autorisés] ont brandi le drapeau nigérien et le drapeau russe.

Je ne comprends qu’on conteste [et réclame], de façon légitime, le départ  de la France  - tout le continent est exploité – et qu’on demande en même temps à la Russie de venir prendre le relais, pour l’économie comme pour la sécurité et le militaire.

 

DW : Théodore Holo, vous qui êtes un intellectuel africain, quelle est votre position concernant les solutions discutées actuellement ? Est-ce une intervention militaire pour forcer les putschistes nigériens à quitter le pouvoir et réinstaller le président déchu ? Ou alors faut-il discuter, négocier sur le plan diplomatique ? Vous qui avez été ministre des Affaires étrangères, quel succès voyez-vous pour cette option diplomatique ?

Théodore Holo : D’abord ce n’est pas la première fois que la Cédéao intervient militairement. Il y a déjà eu des actions fortes pour éviter des transitions militaires. La voie diplomatique permet de se mettre d’accord sur les modalités de retour à l’ordre constitutionnel et un accompagnement.  Maintenant, il faut voir ce qui va être mis sur la table, quels sont les rapports de force pour un éventuel retour du président Bazoum. Ce qui est évident, c’est qu’il faut absolument revenir à l’ordre constitutionnel pour que le Niger retrouve sa place dans la communauté.

 

DW : Alors comment comprendre les propos du Secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, qui affirme qu’avec la diplomatie, le coup d’Etat pourrait encore être réversible. Est-ce qu’on peut attendre dans les prochaines semaines, les prochains mois, un retour au pouvoir de Mohamed Bazoum ?

Théodore Holo : Je ne suis pas devin mais je rappelle qu’avec la mondialisation, il y a interdépendance. Le Niger ne peut pas vivre en vase clos. Déjà, le refus de la Banque mondiale, puis de l’Union européenne, le refus de la France, le retrait des Etats-Unis dans le financement de certaines activités mettent la pression sur le pouvoir [nigérien]. Il y a de nombreux éléments que ce pouvoir doit prendre en compte pour essayer d’assouplir sa position afin de trouver un compromis acceptable. Ce qu’il faut souhaiter, car on sait quand commence une guerre mais on ne sait jamais quand elle finit et comment elle va finir car il y a toujours des dégâts collatéraux. Voilà pourquoi je dis que le recours à la force doit être le moyen ultime et je souhaite que la sagesse des uns et des autres nous évitent cette catastrophe.