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L'Algérie craint de perdre son influence au Sahel

29 août 2024

Que ce soit en Libye ou au Mali, l'Algérie voit son ascendant diplomatique reculer au profit d'autres Etats qui sont, pour certains, en froid avec Alger.

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Montage : portraits en miroir, qui semblent se regarder, d'Assimi Goïta et Abdelmadjid Tebboune (illustration)
Le Mali et l'Algérie sont en froid. Image : Alexander Ryumin/dpa/TASS/Fazil Abd Erahim/Anadolu/picture alliance

Encore un coup de froid diplomatique entre Alger et Bamako. En début de semaine, le représentant permanent de l'Algérie auprès des Nations unies a appelé à "mettre un terme aux violations des armées privées utilisées par certains pays".

Il s'agit là d'une allusion transparente aux frappes de drones menées par l'armée malienne et ses alliés russes à Tinzaouatène, non loin de la frontière algérienne. Ce nouvel épisode illustre les tensions persistantes entre le Mali et l'Algérie depuis la reprise de la guerre ouverte entre les autorités maliennes et les groupes armés du nord du pays.

La crainte des débordements

L'Algérie a été contrariée de ne pas avoir été prévenue des frappes de drones, si proches de sa frontière, dans le Nord du Mali.

Elle craint des débordements, sur son territoire, des groupes armés présents au Mali, mais aussi en Libye, comme l'explique Nina Wilen, directrice du programme Afrique de l'Institut Egmont pour les relations internationales :

"Le conflit s'approche de leurs frontières. Ça les inquiète. [Les Algériens] ont essayé de fortifier les frontières avec le Mali, avec [le déploiement de] plus de troupes, analyse la chercheuse. Mais l'Algérie est aussi confrontée aux troupes russes en Libye. Il y a aussi des troupes des anciens Wagner – maintenant Africa Corps -  qui sont aussi près des frontières et soutiennent le leader des rebelles en Libye. Donc il n'y a pas qu'au Mali que l'Algérie est confrontée à ces troupes qu'ils appellent "mercenaires", mais qui sont très étroitement liées au ministère russe de la Défense."

Interview avec Nina Wilen : "C'est une perte de prestige pour l'Algérie"

Une détérioration accélérée en 2023

Les relations entre l'Algérie et le Mali ont recommencé à se détériorer courant 2023. La reconquête de la ville de Kidal par l'armée malienne, appuyée par les Russes, sur la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), a sonné le glas de l'accord de paix de 2015. L'Algérie considérait alors la CMA comme un interlocuteur essentiel pour l'application de l'accord de paix.

Cet accord avait été signé sous l'égide de l'Algérie et le patronage de l'Onu. Il a été révoqué en début d'année par Assimi Goïta qui affirme vouloir "privilégier l'appropriation nationale du processus de paix".

L'impasse stratégique

Nina Wilen estime qu'"une fois que la junte militaire [malienne] a écarté la mission de l'Onu, l'Algérie a perdu sa position de médiateur principal, de "peace maker"» si on veut, au Mali. C'est un peu pour elle une perte de prestige en tant qu'Etat qui essaie de contribuer à la stabilité dans la région.  Et maintenant, il n'y a vraiment pas beaucoup de stabilité."

Les violences dans le nord du Mali et la recrudescence des combats depuis les coups d'Etat dans le Sahel ont causé la mort de nombreux civils et provoqué des déplacements de population, y compris en direction de l'Algérie.

Le torse d'un homme en uniforme des FAMa (illustration)
L'armée malienne s'appuie sur la Russie pour combattre les groupes armés dans le nord du MaliImage : Hans Lucas/IMAGO

L'Algérie subit également les répercussions indirectes des violences en Libye, autre pays voisin, où le groupe Wagner est présent depuis 2016 pour soutenir les rebelles du maréchal Haftar.

Mais pour le politologue Ali Bensaâd, les critiques formulées par l'Algérie à l'Onu n'ont "rien à voir avec le droit international".  Selon lui, l'Algérie se rend compte qu'elle perd en influence au Sahel et ça ne lui plaît pas.

"La situation aux frontières de l'Algérie est vraiment symptomatique de son impasse, déclare Ali Bensaâd. C'est-à-dire comment ces pays, que l'Algérie considérait comme son arrière-cour stratégique, non seulement l'Algérie en a été chassée, mais ils lui deviennent hostiles. Et en s'appuyant sur l'allié qu'elle considère comme stratégique : la Russie."

Les choix de la Russie

D'où les propos, cités par Akram Kharief, du président algérien Abdelmajid Tebboune qui épinglait déjà les mercenaires russes en décembre 2022, dans une interview au Figaro, en déclarant : "L'argent que coûte cette présence serait mieux placé et plus utile s'il allait dans le développement au Sahel".

D'ailleurs, selon Ali Bensaâd, Alger n'a pas à craindre de se mettre la Russie à dos par les récentes déclarations de son ambassadeur à Genève : c'est déjà fait.

"La Russie a plutôt choisi le Sahel que l'Algérie", résume le politologue.

Les gardiens du désert patrouillent dans le Sahel

Moscou soutient aussi le rapprochement des pays de l'Alliance des Etats du Sahel (Mali, Niger et Burkina Faso) et du Tchad avec le Maroc, ennemi de longue date d'Alger.

Autre choix stratégique de la Russie qui déplaît à l'Algérie : l'alliance avec les Emirats arabes unis en Libye. Abou Dhabi, en froid avec Alger sur la question du Sahara occidental, se rapproche également des autorités maliennes en signant des accords économiques et scelle ainsi un peu plus le recul diplomatique de l'Algérie dans la région.

Enfin, les tensions politiques se nichent dans les moindres détails.

Ali Bensaâd cite par exemple la campagne de dénigrement de la boxeuse Imane Khelif aux Jeux Olympiques de Paris. La Russie a accusé cette athlète, qui faisait la fierté de l'Algérie, d'être en fait un homme.