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L'ombre de la dictature Marcos plane sur les Philippines

Sandrine Blanchard | Avec agences
11 mai 2022

L'élection haut la main de Ferdinand Marcos Jr. à la présidence des Philippines fait craindre un retour de la dictature, dans la lignée de celle de son père.

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Ferdinand Marcos Jr. harangue la foule, samedi 7 mai 2022
Ferdinand Marcos Jr. harangue la foule, samedi 7 mai 2022Image : Aaron Favila/AP/picture alliance

La victoire écrasante, à la présidentielle philippine, de Ferdinand Marcos Junior a un air de déjà-vu. Elle laisse un goût amer aux victimes de la dictature de son père et aux défenseurs des droits humains. L'un des premiers gestes du nouveau président élu a d'ailleurs été ce mercredi (11.05.) de se recueillir sur la tombe de son père. Et le choix de sa vice-présidente ne rassure guère non plus sur ses intentions : Sara Duterte est la fille du président sortant, un populiste de droite au régime brutal.

"Bongbong", fils de son père

Le surnom de Ferdinand Marcos Junior, "Bongbong", pourrait prêter à sourire. Mais sa victoire avec 97% des voix fait craindre un retour de la dictature exercée pendant 21 ans par son père, Ferdinand Marcos Senior.

Rassemblement à Quezon City (Philippines), le 25 février 2022, pour célébrer le renversement de Ferdinand Marcos Senior, en 1986
Rassemblement à Quezon City (Philippines), le 25 février 2022, pour célébrer le renversement de Ferdinand Marcos Senior, en 1986Image : Getty Images

Celui-ci était soutenu par les Etats-Unis qui voyaient en lui un rempart contre le communisme.  Il a été chassé par une révolte populaire, en 1986. Il laisse alors derrière lui un pays exsangue, meurtri par deux décennies de terreur qui ont fait des milliers de morts et disparus.

Biens mal acquis, terreur

La famille Marcos est contrainte à l'exil et part à Hawaï, l'épouse du président déchu parvient tout de même à emporter avec elle ses 2.700 paires de chaussures de luxe.

Le clan ne peut rentrer aux Philippines qu'en 1991, après la mort de Ferdinand Marcos. La justice les condamne à rembourser cinq milliards de dollars de biens mal acquis. Leur fortune détournée pourrait atteindre le double de cette somme.

En 1986, après le renversement de Ferdinand Marcos, un jeune détruit une image du dictateur
En 1986, après le renversement de Ferdinand Marcos, un jeune détruit une image du dictateurImage : AP

Alors la victoire du fils Marcos, un peu plus de 30 ans plus tard, est un coup de tonnerre pour les victimes de la torture sous la loi martiale. Etta Rosales est l'une d'entre elles. "Je ne m'y attendais pas du tout", raconte-t-elle . "Pourquoi un autre Marcos, tout d'un coup, deviendrait président ? Comment voulez-vous qu'on leur pardonne ? Ils n'ont jamais reconnu ce qu'ils avaient fait au peuple philippin."

Plus de 70.000 opposants ont été torturés, emprisonnés ou tués sous l'ère Marcos père.

Duterte et fille

Quant à la guerre contre la drogue menée par le président sortant Rodrigo Duterte, elle a fait aussi des milliers de morts sur lesquelles enquête déjà la Cour pénale internationale.

Dans la famille Duterte : le père, Rodrigo, et la fille, Sara Duterte-Carpio
Dans la famille Duterte : le père, Rodrigo, et la fille, Sara Duterte-CarpioImage : picture alliance/Kyodo

Alors Emerlynne Gil, directrice régionale d'Amnesty International pour l'Asie-Pacifique, s'inquiète de constater que ni Ferdinand Marcos Junior ni sa future vice-présidente, la fille de Rodrigo Duterte, n'ont pris leurs distances avec les agissements de leurs pères respectifs – bien au contraire. 

Emerlynne Gil note même qu'"ils ont évité de répondre aux questions concernant les meurtres, la détention sous la torture pendant la loi martiale, et aussi les meurtres qui ont été commis dans le contexte de la guerre contre la drogue de Duterte. [...] Ce sont deux personnes qui vont diriger les Philippines qui refusent d'engager des conversations sur la responsabilité des violations des droits de l'Homme."

Manifestation à Manille, en 2021, pour réclamer "Justice pour les victimes de la répression d'Etat"
Manifestation à Manille, en 2021, pour réclamer "Justice pour les victimes de la répression d'Etat"Image : Aaron Favila/AP Photo/picture alliance

Désinformation sur les réseaux sociaux

La victoire malgré tout de Ferdinand Marcos Junior s'explique en partie par une campagne de désinformation menée sur les réseaux sociaux. Appuyé par le pouvoir Duterte, les militants pro-Marcos ont réussi à faire passer son père pour un héros de la nation aux yeux des plus jeunes, qui n'étaient pas nés quand le dictateur a été chassé par la rue.

L'analyste politique Bob Herrera Lim minimise pour sa part les risques. Il souligne que les institutions financières du pays ont gagné en indépendance vis-à-vis de l'exécutif par rapport aux années 1970 ou 1980.

Certains Philippins espèrent désormais que les leçons tirées de l'histoire permettront au peuple de rester vigilant et d'éviter que ne se reproduisent les crimes du passé.