La tristesse des cités-dortoirs
18 janvier 2013Rares sont les touristes dans le quartier de Belleville. Bien que situé à Paris, il n'abrite que très peu d'attractions culturelles. En marge de Belleville, les tours de la Place des fêtes s'élancent comme des forteresses. Dans ces HLM de béton préfabriqué s'entassent ceux qui n'ont pas les moyens de payer les loyers parisiens standards. On y trouve beaucoup de familles immigrées. Cette partie de Belleville est particulièrement défavorisée. « A Paris, un quartier est considéré comme défavorisé lorsque la pauvreté et le chômage y sont particulièrement élevés », explique la sociologue Ariane Jossin. Depuis quelques années, cependant, s'y installent également des personnes plus aisées à cause de la hausse des prix des loyers dans les zones plus centrales.
Ariane Jossin va mener des recherches pendant trois ans dans les quartiers de Paris, Berlin et Londres où se concentrent la pauvreté et le chômage. Son projet s'inscrit dans le cadre de l'initiative franco-allemande « Saisir l'Europe – Le défi de l’Europe », à laquelle participent plusieurs centres de recherche tels que le Centre Marc Bloch à Berlin ou le Centre d'Etudes interdisciplinaire d'Allemagne (CIERA) à Paris.
Misère sociale et économique
Ariane Jossin veut étudier la façon dont vivent les habitants de ces quartiers sinistrés : quelle importance accordent-ils à la cohésion sociale ? Quels endroits choisissent-ils ? Et, surtout, quand la frustration dégénère-t-elle en violence ? La sociologue rencontre une fois par mois sa collègue Teresa Koloma Beck qui travaille au Centre Marc Bloch de Berlin sur les phénomènes d'escalade de la violence dans leur dimension internationale. Toutes deux veulent comparer leurs travaux, en étudier les points communs et les différences. Car les conflits mondiaux qui mènent à la violence peuvent avoir un écho au niveau local.
Depuis les émeutes survenues en 2005 dans les banlieues-dortoirs de Paris – voitures et magasins incendiés, écoles vandalisées – le monde entier connaît l'existence de ces ghettos frappés par la crise. Pour Ariane Jossin, il n'y a pas de prédisposition à la violence dans ces milieux, « il n’y a pas de violence sans raison ». L'image des immigrés ou des Français issus de l'immigration véhiculée par les médias est trop focalisée sur les actes de vandalisme et les jeunes délinquants. On fait l'impasse sur les exemples d'intégration réussie. C'est pour cela que la chercheuse souhaite aussi étudier en comparaison l'insertion sociale dans les quartiers plus aisés de la capitale : est-elle plus facile, plus rapide ? En tout cas, on s'y sent moins isolé qu'en banlieue où l'accès à l'éducation est plus compliqué et les transports publics moins nombreux.
Comparaison France-Allemagne
Ariane Jossin et ses collègues français et allemands ont déjà mené 140 interviews entre 2008 et 2011 pour le compte de l'Agence nationale de recherche (ANR) et de son homologue allemande, la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Il s'agissait de cerner quelles étaient les chances des jeunes immigrés dans le système éducatif et sur le marché du travail. L'intérêt majeur de ce projet, qui constitue la base de ses recherches sur les violences urbaines, réside dans la comparaison entre la France et l'Allemagne. On remarque, par exemple, que le frein social opère beaucoup plus tôt en Allemagne.
Les élèves français suivent tous le même enseignement jusqu'à la fin du collège, c'est-à-dire jusqu'à 15 ans environ. En Allemagne ils sont aiguillés dès la quatrième classe, vers l'âge de douze ans. « Une sélection s'effectue après le primaire, sans que les enfants d'immigrés saisissent vraiment ce que cela signifie, d'après la sociologue. Il n'y a donc aucune contestation.En France, au contraire, la sélection a lieu plus tard, à un âge où les descendants d'immigrés sont en mesure de saisir parfaitement la situation, à savoir que les chances ne sont pas les mêmes pour eux que pour les jeunes d'origine française » On les envoie presque par réflexe en formation professionnelle plutôt qu'en filière générale qui mène au baccalauréat et aux études supérieures. Le constat est amer, et lourd de conséquences : au cours des interviews, beaucoup de descendants d'immigrés se disent en colère et affirment avoir une opinion négative des autorités, précisément à cause de cette inégalité.
Perspectives d‘avenir
En ce qui concerne l'insertion sur le marché du travail, l'Allemagne offre davantage de chances que la France, y compris à ceux qui décrochent prématurément de l'école. Il est plus facile de rattraper son retard pour obtenir un diplôme. En France, le principe d'égalité républicaine entraîne la négation des différences d'origine. Ainsi, il n'existe pas de programme d'aide spécifique pour les jeunes issus de l'immigration. Mais le président François Hollande semble avoir saisi le danger d'un tel système. Son programme « Emplois d'Avenir » prévoit donc de soutenir les jeunes adultes dans leur recherche d'emploi, même lorsqu'ils ne sont pas diplômés, en y associant un accompagnement financier. « Ce serait une bonne solution, estime Ariane Jossin, et cela permettrait à certains de retrouver leur place dans la société. »
En effet, pendant longtemps, les jeunes Français de moins de 26 ans n'ont eu quasiment aucun accès aux aides sociales, contrairement aux Allemands de leur âge. « Par ailleurs, la communauté ethnique joue un grand rôle en Allemagne », explique la chercheuse. Si bien qu'en cas d'échec scolaire, la présence de la famille et des amis permet de ne pas tomber aussi rapidement dans la précarité, comme c'est le cas pour les Français qui arrêtent l'école.