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"Nous voulons faire de la Guinée un pays normal"

16 mars 2022

Interview avec Mohamed Beavogui, Premier ministre de transition en Guinée, sur le programme des autorités militaires.

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En Guinée, le gouvernement lance cette semaine des consultations avec les partis politiques et la société civile. C’est ce que déclare le Premier ministre guinéen de transition, Mohamed Beavogui, dans une interview exclusive accordée à la DW.

Ce dialogue survient après l’annonce jeudi dernier par les autorités militaires de la tenue des assises nationales, six mois après le coup d'Etat qui a renversé le président Alpha Condé. Ces assises devraient tourner autour des questions de réconciliation nationale et de justice transitionnelle, explique le Premier ministre.

Mohamed Beavogui affirme que son gouvernement veut faire de la Guinée un "pays normal". Il est notre invité de la semaine et il est interrogé par Kossivi Tiassou.

DW : Bonjour Monsieur le Premier ministre.

Mohamed Beavogui : Bonjour

Monsieur le Premier ministre, le coup d'État, tout comme votre nomination au poste de Premier ministre ont été bien accueillis en Guinée, mais aujourd'hui, on se rend compte que la période de grâce est passée. Est ce que vous le sentez vous aussi avec la formation d'une coalition de 58 partis politiques qui demande un chronogramme dans un bref délai en Guinée ?

Bon, je ne sais pas si on a eu une période de grâce ou peut-être que je ne comprends pas très bien ce que vous appelez "période de grâce", mais ce que je veux dire, c'est que la vie, elle continue de façon normale en général. Après des changements comme ça, c'est assez classiques, partout, il y a l'euphorie, il y a des attentes. Et puis on se met au travail. Et dans un contexte comme celui où on a eu la Covid-19 qui a frappé l'économie et le monde bancaire, on a souffert. Vous voyez ce qui se passe ailleurs. Notre pays n'est pas exempt de ça.

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Et dans un contexte où il y a des systèmes illicites qui faisaient marcher l'économie, le passage vers des systèmes plus licites et plus vertueux amène toujours des difficultés. C'est tout-à-fait normal. On a débranché les mauvais tuyaux qui siphonnaient nos ressources financières, mais ce n'est pas facile de brancher ces tuyaux vers le trésor public. Les choses ne vont pas aussi vite que ce qu'on attend. Et en général, c'est ce qu'on rappelle souvent chaque fois qu'il y a changement et donc ce qui se passe est tout-à-fait normal.

Ne pensez-vous pas que l'attente est trop longue pour connaitre le chronogramme et la date des élections en Guinée?

Mais la décision qui a été prise avec la Charte, c'était de permettre au CNT et aux différentes forces de décider sur le chronogramme. Le CNT bien installé, il a fini son règlement intérieur. Il a commencé à consulter les populations de l'intérieur du pays et c’est maintenant que le travail sur le chronogramme va commencer, il a d’ailleurs commencé et le dialogue politique s'ouvre pour discuter des moyens de mettre en place un cadre de discussion.

L’un des axes de la feuille de route gouvernementale fait de grandes promesses en matière de construction d'infrastructures et une autre promet de faire une rectification institutionnelle. Encore plus intéressant, la feuille de route gouvernementale veut juger les présumés auteurs des massacres du 28 septembre 2009 pour que justice soit enfin rendue en Guinée. Est-ce que la transition a les moyens de faire ce que les gouvernements précédents en Guinée, notamment ceux d'Alpha Condé, n'ont pas réussi à faire ?

Le procès du 28 septembre est important. Il est très important. Il est important pour nous. Il est important pour l'humanité, ce procès aura lieu, nous l’avons promis. Il va se faire. Le travail préparatoire continue et j'espère que très bientôt, ce procès va démarrer, mais une fois que toutes les conditions seront remplies, conditions physiques, conditions d’organisation et conditions de préparation aussi du système judiciaire.

Lansana Kouyaté en interview sur la DW (Archive)

Mais à ce stade-ci, comme vous voyez, nous commençons à changer le Conseil suprême de la magistrature. Les différentes parties de la justice et la structure organisationnelle de la justice bouge. Donc, nous allons solidifier tout ça et très vite, la machine va se mettre en marche. Les programmes de formation ont déjà commencé. Pour que cette justice, je veux dire le jugement du 28 septembre, se mette en place. C'est aussi simple que ça.

Trois choses constituent les priorités : la refondation basée sur le pilier politique, bien sûr, la refondation aussi pour appuyer la justice, la gestion de nos ressources financières. Et puis, une petite réorganisation de l'administration pour nous permettre de donner les bases minimales pour gérer le pays de façon correcte, transparente et surtout gérer nos ressources de façon vertueuse et enfin, faire en sorte que les services, les populations les reçoivent tous les jours.

C'est aussi simple que ça, c'est rien d'extraordinaire. Mais sincèrement, comme nous le disons, notre ambition, c'est de faire de la Guinée un pays normal. C'est tout. Rien de plus.

Mais est-ce que ces ambitions, ce sont les priorités d'une transition ? C'est-à-dire la politique des grands travaux, la rectification ou encore le procès des atrocités du 28 septembre 2009 ?

Vous avez raison de poser cette question parce que les changements sont tellement profonds qu'ils ne se feront pas vite. Mais le problème que nous avons, c'est qu'il faut un minimum. Ecoutez, quand on peut venir vous arrêter chez vous à la maison, parce que, simplement, le voisin a plus de relations, quand on vous barre la route quand vous transportez vos marchandises, on vous fait payer. Est-ce que c'est une vie normale ? Est-ce qu'on peut laisser ça se faire et faire un dialogue politique ? Il faut de la justice.

Il faut au moins que les victimes sentent que cette transition est là pour chacun, y compris les bases de ce changement. Nous sommes conscients du fait qu'on ne peut pas tout changer, mais il y a un minimum qu'il faut changer pour que le processus politique puisse s'appuyer sur une justice vraie, une administration minimale qui fonctionne et une économie qui est gérée correctement.

Et justement, nous essayons de faire ce que nous pouvons pour gérer notre économie de façon vertueuse. Aujourd'hui, tous les bailleurs de fonds sont de retour. Tout le monde est là. Pas un seul ne manque à l'appel. Ils nous apportent des ressources.

Maintenant, il s'agit pour nous de nous mettre au travail pendant que nos représentants au CNT, notre classe politique, nos acteurs de la société civile vont se mettre à table ensemble pour dessiner la Guinée de demain.

>>> Lire aussi : Transition en Guinée : certains acteurs politiques veulent avoir leur mot à dire

Le rôle du gouvernement, c'est de faire en sorte que toutes les conditions soient créées pour que ces dialogues se fassent tranquillement, dans l'apaisement. En tout cas, c'est le souhait du colonel Mamady Doumbouya. C'est ça qu'il veut et c'est ce que nous essayons de faire.

L'autre sujet qui divise en Guinée en ce moment, c'est ce que d'aucuns appellent l'expropriation de certains leaders de l'opposition, des leaders populaires qui ont finalement quitté leurs domiciles. Je veux parler notamment de Sidya Touré, de Cellou Dalein Diallo, un dossier très controversé. En prenant une telle décision, même si c'est judiciaire, n'est ce pas trop risqué pour les autorités de la transition, qui ainsi, font se retourner une partie des Guinéens contre elles ?

Le CNRD a toujours dit que la justice sera la boussole de son action. Moi, j'y crois. Nous y croyons en Guinée et je suis certain que c'est ce qui se fera. 

Est-ce que vous ne craignez pas des débordements ?

Je pense que si la justice continue à être de bout en bout la boussole de notre action, les Guinéens comprendront.

La guerre en Ukraine pourrait avoir des répercussions sur la bauxiteexploitée par la société russe Rusal en Guinée, à la suite de l'arrêt de l'usine de production d'aluminium de Nikolaev, dans le sud de l'Ukraine. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les activités de cette usine alimentées par la bauxite guinéenne, ont été arrêtées. Est-ce que vous vous considérez aujourd'hui comme une victime collatérale de ce conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine ?

Pour le moment, ici en Guinée, toutes les industries fonctionnent. Donc, nous n'avons pas encore senti l'effet direct de ce que vous venez d'annoncer.

Ce qui est clair, c'est que la guerre en Ukraine touche le monde entier. Il y a eu déjà le prix du baril du pétrole qui a atteint les 140 dollars. Ça a un impact sur la Guinée, comme ça a un impact sur tous les pays du monde.

Et il y a les autres aspects des échanges parce qu'il y a des échanges entre la Russie, l'Ukraine et nous. Nous achetons par exemple beaucoup de blé en Ukraine pour nos minoteries. Donc c'est clair qu'il y aura un impact.

Maintenant, nous avons mis en place un comité de crise au niveau du gouvernement. Il comprend évidemment des diplomates parce que n'oubliez pas que nous avons des compatriotes et en Russie, et en Ukraine et que ces compatriotes, aujourd'hui, certains ont décidé de quitter et de rentrer au pays. Donc, nous travaillons aussi pour faire en sorte que nos compatriotes soient d'abord protégés, qu'ils soient encadrés et qu'ils soient aidés. Nous avons dégagé des ressources financières importantes récemment que nous avons mis à la disposition de nos ambassades et même des ressources à distribuer directement aux personnes affectées.

Sur le plan stratégique, évidemment, nous réfléchissons sur les questions économiques ou sur l'impact de cette guerre qui vient s'ajouter à l'impact de la Covid-19. Comme vous le savez, nous travaillons et nous prendrons les mesures qu'il faut pour que les Guinéens soient le moins affectés possible.