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"Notre démarche est une démarche politique" (Succès Masra)

Blaise Dariustone8 novembre 2023

L’opposant tchadien Succès Masra qui a regagné son pays le 3 novembre dernier après plus d’un an d’exil donne des détails sur les circonstances de son retour.

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Succès Masra avait quitté le Tchad au lendemain des manifestations du 22 octobre 2022 contre la prolongation de la transition, qui ont fait 73 morts selon les autorités, 300 selon les ONG de défense des droits humains. Le retour au pays de succès de Masra, ainsi que de certains de ses partisans, a été rendu possible par la signature d'un accord avec les autorités tchadiennes qui garantit l'impunité aux auteurs des crimes du 20 octobre 2022. Un accord conclu grâce à la médiation du Président congolais Félix Tshisekedi

Écouter l'interview avec Succès Masra en cliquant sur l'image ci-dessus

DW : Monsieur Succès Masra, bonjour.

Succès Masra : Bonjour.

DW : Qu'est-ce qui vous a motivé à signer un accord de Kinshasa ayant permis votre retour au Tchad ?

Succès Masra : L'Accord de Kinshasa est intitulé "l'Accord de réconciliation pour le retour des Tchadiens et Tchadiennes" qui ont quitté le Tchad depuis les événements douloureux du 20 octobre 2022 et surtout un engagement croisé pour nous tous qui est de continuer à échanger de sorte à trouver un accord global de réconciliation nationale permettant que les acteurs civils ou même politico-militaires qui n'ont pas encore été partie prenante de la transition actuelle, puissent mettre 1) leurs propositions, 2) leurs exigences, de manière à ce que nous trouvions une solution globale qui permette au Tchad d'arriver à la seule chose qui vaille, un Tchad réellement démocratique où les Tchadiens et les Tchadiennes vont choisir leurs dirigeants.

Et donc, c'est au nom de toutes ces choses-là, qu'il nous a semblé important d'apposer notre signature pour cet accord politique qui, aujourd'hui donc, garantit la possibilité à tous ceux qui sont sortis, pas seulement Les transformateurs, de rentrer au Tchad de manière totalement sécurisée.

DW: Beaucoup de vos compatriotes voient en cet accord un revirement de Succès Masra qui, en novembre 2022, avait annoncé la saisine de la Cour pénale internationale, la CPI, au sujet des massacres du 20 octobre et qui, un an plus tard, donne son accord pour une amnistie globale sur ces événements. Que répondez-vous ?

Succès Masra : Non. Si la signature de Masra pouvait arrêter les poursuites contre des crimes, ce serait donner trop de pouvoir à Masra.

Si la signature de Masra pouvait dompter la justice du Tchad, ce serait donner trop de pouvoir à Masra.

La signature de cet accord, c'est d'abord rendre justice, y compris à nos militants.

J'ai signé en tant que président du parti Les Transformateurs. Des centaines de mes militants ont été arbitrairement condamnés. Graciés, mais la grâce présidentielle qui leur avait été accordée ne leur restitue pas leurs droits politiques.

En tant que dirigeant d'un parti, il me semblait important que ces braves parmi les braves qui étaient sortis au nom de la justice et de l'égalité, qui ont été condamnés dans une procédure expéditive, soient restaurés dans leurs droits politiques, leurs droits civils.

Et donc ma signature n'arrête ni la justice, n'interdit ni les poursuites contre des crimes contre l'humanité qui seraient commis par les uns et les autres, y compris, je dirais, lors des différents événements tragiques qu'a connu notre pays.

Ce qu'il faut donc rappeler, c'est que notre démarche est une démarche politique et il y a des combats qui ne peuvent être gagnés que par des partis politiques.

Il y a d'autres combats qui ne peuvent être gagnés que par la société civile.

Il y a un certain nombre de crimes qui sont imprescriptibles au niveau international.

Donc nous n'avons pas la prétention, à travers une simple signature de notre modeste personne de faire table rase de tout cela.

DW : Est-ce que vous tenez toujours à cette procédure devant la CPI contre l'État tchadien au sujet de ces événements ?

Succès Masra : Cette procédure, vous avez lu l'accord, n'a pas été évoquée. Nous n'avons pas signé dans cet accord de dispositions concernant les procédures en cours au niveau de la CPI, qui échappent même déjà à notre modeste personne.

Ces saisines ont eu lieu même à travers différentes organisations de défense des droits humains, au niveau national ou au niveau international.

Donc je crois qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir.

DW : Selon certaines indiscrétions, Succès Masra serait le prochain Premier ministre de Mahamat Idriss Déby Itno qu'il a longtemps combattu. Les Transformateurs sont-ils maintenant prêts à intégrer le gouvernement ou à un éventuel accord de partage du pouvoir pour un poste de transition ?

Succès Masra : Vous savez, ça va être la énième fois. On a souvent dit que Les Transformateurs étaient radicaux et qu'ils n'ont jamais souhaité travailler, alors même que dès le premier jour de l'ouverture de cette transition, nous avions dit que, non seulement nous étions prêts à travailler ensemble, et sur la base de la justice, de l'égalité, en privilégiant les principes démocratiques qui permettront aux Tchadiens de choisir leurs dirigeants à la fin de cette transition.

Pas seulement au niveau gouvernemental, mais à tous les niveaux, y compris l'administration du territoire, y compris les organes chargés des élections.

Mais nous n'avons jamais été dans une démarche de refus de travailler ensemble pour la démocratie.

DW: Est-ce donc dire Succès Masra Premier ministre ou président de l'Assemblée nationale au Tchad dans les jours à venir, possible?

Succès Masra : Ecoutez la question, ce n'est pas Masra, la question, c'est nous, l'ensemble des Tchadiens.

Quelles configurations, quelles institutions qui vont permettre une seule chose : d'aboutir à un Tchad dans lequel les Tchadiens et les Tchadiennes pourront enfin choisir leurs dirigeants de façon démocratique.

L'accord qui a été signé et présenté n'est pas un accord de partage des postes.  Non, c'est une responsabilité globale pour servir les Tchadiens et les Tchadiennes.

DW: Vous vous êtes toujours opposé à une éventuelle candidature des dirigeants de la transition. Aujourd'hui, est- ce que vous tenez toujours à cette exigence?

Succès Masra: La vérité, il faut la restaurer.  Nous avons même fait un discours du Balcon de l'espoir, que nous avons appelé "De l'éligibilité encadrée des dirigeants de la transition".  Masra et Les Transformateurs ne peuvent pas être dans une démarche d'exclusion. 

Ce que nous avons toujours dit, c'est qu'il faut des équilibres de pouvoir, de sorte qu'une seule personne n'ait pas tous les leviers et ne phagocyte pas un processus qui deviendrait du coup un processus non démocratique.

C'est ce que nous avons appelé une "éligibilité encadrée".

Nous nous mettons toujours sur la table des propositions concrètes qui permettront aux Tchadiens de pouvoir trancher.

Vous savez pourquoi ? Parce que nous n'avons pas peur d'affronter qui que ce soit à une élection.

DW : Succès Masra, merci.

Succès Masra : Merci à vous.