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"Il faut tenir compte des priorités des populations du Sud"

26 juin 2024

Interview croisée d'Ousmane Maïga, du Mali, et d'Epiphanie Dionrang, du Tchad. Tous deux sont des militants de la société civile engagés.

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Récemment s'est tenue à Berlin une rencontre organisée par le réseau d'ONG Fokus Sahel. L'objectif était de réunir des acteurs de la société civile des pays sahéliens et des organisations partenaires allemandes, afin de réfléchir aux nouvelles formes que peut et doit prendre leur partenariat. 

Sandrine : Les différents coups d'Etat ont en effet eu un impact sensible sur les relations bilatérales. En marge de cette rencontre, Thomas Mösch a pu interviewer Ousmane Maïga et Epiphanie Dionrang. Lui est membre de l'Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD), au Mali. Elle, elle est militante féministe au Tchad.

Suivez leur entretien en cliquant sur l'image ci-dessus ou lisez la transcription ci-dessous :

Ousmane Maïga, de l'AJCAD Mali (photo de juin 2024)
Ousmane Maïga, de l'AJCAD Mali, plaide pour une refonte du partenariat Nord-SudImage : Thomas Mösch/DW

DW :  En quoi la situation au Mali a-t-elle changé depuis que les militaires ont pris le pouvoir ?

Ousmane Maïga :  L'évolution est assez mitigée, bien qu’il y ait aussi, dans certains secteurs, une certaine appréciation [des actions des militaires au pouvoir] de la part de certaines populations, notamment par rapport à l'occupation territoriale par l'armée.

Toutefois, nous assistons à une régression du point de vue démocratique et politique, notamment en ce qui concerne l'organisation d'élections, avec le report de ces élections qui mécontente une grande partie de la population.

Depuis 1991-92 à nos jours, au Mali, beaucoup de choses ont évolué sur le plan de l'éducation, de la santé, des infrastructures, le plan aussi de la liberté d'expression, de participation aux libertés politiques. Je crois que ce sont des acquis qu'il faut consolider.

A la fin, cette transition pourrait jeter les bases d'une refondation solide qui permettra au Mali de retrouver sa démocratie encore plus renforcée, et aussi qui pourrait résister à des frustrations, qui puisse résister aussi à d'autres pouvoirs, à côté des politiques, qui aspirent très souvent aussi à gérer le pays, lorsque cela ne fait pas partie forcément les prérogatives de ces corps, qui ont un rôle encore plus important, je dirais, que les politiques.

Epiphanie Dionrang, présidente de la Ligue tchadienne des droits des femmes (photo de juin 2024)
Epiphanie Dionrang est aussi la présidente de la Ligue tchadienne des droits des femmesImage : Thomas Mösch/DW

 

DW :  Si on regarde la situation au Tchad, on a une situation politique un peu différente : Mahamat Idriss Deby Itno a succédé à son père et a été élu président cette année. Il y a un changement de génération. Est-ce que ça a amélioré quelque chose pour les jeunes?

Epiphanie Dionrang :  Je pense qu’on vit dans une dynastie qui peut faire tout ce qu’elle veut, malgré tout ce qui s'est passé sur le plan politique, au Tchad, parce qu'il y a tellement de restrictions dans les espaces, pour les jeunes aussi.

Il y a cette haine entre les ethnies, il y a cette frustration aussi des jeunes. Ceci amène une radicalisation des jeunes et des violences. Car il y a eu des représailles, et des jeunes ont été assassinés, enlevés, jusqu'aujourd'hui on ne sait pas où sont certains toujours portés disparus.

Jusqu'à aujourd’hui, on a des problèmes d'électricité - et l'éducation, n'en parlons pas. Il n'y a pas de salles de classe, les enseignants sont tout le temps en grève parce qu'ils ne sont pas payés. On investit dans les armes et sur des militaires.

Il y a aussi cette cherté de la vie, qui amène vraiment une pauvreté extrême, ce qui conduit à ce que les jeunes n'aient plus d'espoir.

 

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DW :  Comment est-ce que c'est encore différent pour les jeunes femmes que pour la jeunesse en général et les jeunes hommes?

Epiphanie Dionrang :  Oui, parce qu'on vit déjà dans une société patriarcale. La loi, elle, est là pour pouvoir protéger ces personnes. Mais la loi n'est pas appliquée, c'est qu'il entraîne que, chez-nous, dès le bas âge, l'éducation de la petite-fille et du petit garçon diffèrent. La petite-fille est éduquée pour vaquer aux tâches ménagères, à rester dans le foyer, et le garçon, c'est lui, l'héritier, qui doit travailler pour pouvoir à son tour s'occuper de la famille. Et aujourd'hui, on aimerait voir des filles être indépendantes et autonomes.

 

DW :  Comment les partenaires allemands pourraient aider ou soutenir le travail que vous faites au Tchad ?

Epiphanie Dionrang :  Déjà, il faut un changement de mentalités, en tant que jeunes dans notre société, d'abord parce qu'on ne va pas dire qu'on veut que les partenaires puissent nous aider. Le problème se situe à notre niveau. Il faut vraiment déconstruire certains stéréotypes de genres. Que les textes qui protègent ces personnes vulnérables en général puissent être appliqués, que la personne qui agit mal soit réprimandée à la hauteur de son crime. Que les partenaires puissent vraiment nous aider dans ce sens.

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DW :  Au Mali, les groupes qui sont proches du gouvernement, et même le gouvernement, se méfient de toute influence de l'Occident – et en particulier de la France. Qu'est-ce que vos partenaires allemands, les ONG, pourraient faire pour quand même continuer à collaborer avec vos organisations?

Ousmane Maïga :  Les bases du partenariat aussi doivent être revues, les bases du partenariat entre le Nord et le Sud, le bilatéral, entre Etats, mais aussi entre les organisations du Nord et du Sud.

Il faut que les leaders locaux et les organisations locales soient mis en avant.

Il faut que les partenaires qui veulent investir dans des pays du sud tiennent compte des besoins et des priorités des organisations dans ces pays et, à leur tour, ces organisations aussi doivent établir leur planification en fonction des besoins des communautés.

On doit avoir un partenariat qui mise plus sur la co-construction, la coresponsabilité, la [prise en] considération des opinions de l'autre mais aussi, surtout, le leadership de celui qui est sur le terrain et qui connaît au mieux le contexte. Et il faut accepter que les choses évoluent, qu'il y a des changements, et accepter de changer avec.