Donald Trump submerge l'espace politique et médiatique
12 février 2025Quand une annonce tonitruante chasse l'autre. Un jour, Donald Trump renomme le golfe du Mexique, un autre il donne les clés du trésor américain à Elon Musk, il signe un décret pour envoyer des milliers de migrants sur l'île prison de Guantanamo, veut démanteler l'USAID, puis il promet que les Etats-Unis prendront le contrôle de la bande Gaza. Pas un jour ne passe sans qu'une décision du président américain ne fasse les gros titres.
La vitesse d'exécution de Donald Trump, le déferlement de décrets et d'annonces disruptives, pourrait d'une certaine manière rappeler l'action de l'ancien président américain Franklin D. Roosevelt. En 1933, le démocrate veut surmonter les conséquences de la Grande Dépression avec son programme appelé New Deal.
Affaiblir l'Etat
Immédiatement après son entrée en fonction, il ordonne la fermeture temporaire de toutes les banques. Roosevelt a fait passer 15 projets de loi clés au Congrès, y compris des programmes sociaux, des réformes bancaires et des mesures de création d'emplois.
Au 100e jour, il prend la parole à la radio et fait son bilan d'étape. C'est ainsi qu'est née cette fameuse règle des premiers 100 jours à l'aune desquels se mesurent les dirigeants du monde entier encore de nos jours.
Mais la comparaison s'arrête là. Car si Roosevelt a renforcé l'Etat en tant qu'acteur avec un pouvoir d'intervention, Donald Trump cherche à l'affaiblir. Il tente de remodeler radicalement le pouvoir exécutif, avec un président au-dessus de tout, qui échappe à tout contrôle.
C'est d'autant plus vrai que, contrairement à Roosevelt, le milliardaire peut compter sur une Cour suprême qui lui est largement favorable.
Elections de mi-mandat en 2026
Malgré cette toute puissance affichée, pour Donald Trump, le temps presse. Selon le politologue Thomas Greven, de l'Institut Kennedy à Berlin, le président dispose d'un peu moins de deux ans pour mener des réformes de fond.
Car dans deux ans, si les institutions démocratiques fonctionnent encore et que les Américains pourront voter librement, les élections de mi-mandat pourraient recadrer l'administration. "Il y aura probablement une rectification, ou du moins il peut y avoir une rectification si la population estime que cela (les réformes) va trop loin", pense Thomas Greven.
Pour l'heure, Donald Trump peut encore compter sur le soutien des électeurs. Thomas Greven observe une "fatigue diffuse de la démocratie" aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, ce qui se traduit par des citoyens lassés par le débat politique et les obstacles juridiques qui ralentiraient le gouvernement.
"Donald Trump veut supprimer les obstacles institutionnels à l'action gouvernementale, les freins et contrepoids", assure le politologue. Dans cet affaiblissement des mécanismes de contrôle démocratique, "la seule question est de savoir jusqu'où ira" le président américain.
La stratégie du "Flood the zone"
Comme lors du premier mandat de Donald Trump, on assiste actuellement à la stratégie du "flood the zone", que l'on peut traduire par "inonder l'espace", qui consiste à saturer le public, à submerger les médias et les opposants politiques à travers des actions, des déclarations et des scandales.
Sauf que cette fois, comme l'écrit le New York Times, "l'inondation est plus forte, plus vaste et brutalement plus efficace".
L'opposition démocrate semble avoir adapté sa stratégie en réduisant sa présence politique. "Je pense que les démocrates ont pris la décision très consciente de ne pas ronger chaque os que Trump leur tend, car cela submergerait également le travail de l'opposition. Ils sont plus enclins à s'en remettre à la voie légale, notamment dans l'espoir qu'il y aura un ajustement dans les urnes lors des élections de mi-mandat de 2026", explique le politologue Thomas Greven.
Batailles judiciaires
Même si les propos incendiaires, les menaces constantes et les nombreuses annonces semblent parfois désordonnés, la nouvelle administration pourrait en réalité suivre une feuille de route bien définie.
Sascha Lohmann, expert des Etats-Unis à l'Institut allemand pour les affaires internationales et la sécurité (SWP) à Berlin, explique notamment que "les décrets comportent également des clauses de divisibilité qui stipulent que si une partie (du décret) est retoquée par les tribunaux, d'autres parties de ces décrets continuent de s'appliquer. Donald Trump s'attend donc déjà à un retour de bâton juridique".
Sur le fond, l'administration actuelle travaille sur les thèmes chers au parti républicain : le démantèlement de l'Etat administratif, une politique d'immigration ferme et la sécurité des frontières. "Rien de tout cela n'est nouveau en ce sens. Ce qui est dramatique et extraordinaire, c'est la radicalité avec laquelle le processus politique cherche à faire passer ces priorités", constate Sascha Lohmann.