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"C'est Kagame qui fait la guerre au Congo" (Patrick Muyaya)

Dirke Köpp
21 juin 2023

Dans l'interview de la semaine, le ministre congolais de la Communication, Patrick Muyaya Katembwe, parle des élections dans six mois et de l'insécurité qui prévaut dans l'est de la République Démocratique du Congo mais aussi dans le Mai Ndombe.

https://p.dw.com/p/4Srvy

DW : Monsieur le ministre Patrick Muyaya, bonjour.

Patrick Muyaya Katembwe : Bonjour.

Le pays, la capitale se bougent déjà beaucoup pour les élections à venir dans six mois. Comment ressentez-vous l'ambiance en ce moment en RDC ?

L'ambiance est un peu à l'échauffement parce qu'on a un rendez-vous électoral dans six mois. Or les élections sont le moment où tout le monde est remis en question.

Kinshasa scène de trafic de rue
L'ambiance à Kinshasa est á l'échauffement avant la présidentielle de décembre.Image : Dirke Köpp/DW

C'est à travers le jeu électoral qu'on va se répartir les rôles : qui sera dans l'opposition, qui sera dans la majorité ? Et l'essentiel pour tout le monde, c'est d'être embarqué dans un processus qui nous permettra de consolider notre démocratie, d'une part, mais aussi d'avoir des dirigeants revêtus d'une nouvelle légitimité pour engager les pays pour les cinq prochaines années.

Vous parlez de consolider la démocratie. Quand on regarde la situation dans l'est, par exemple dans les Kivu ou dans l'Ituri, mais aussi aujourd'hui dans le Maï-Ndombe, on a l'impression que la consolidation de la démocratie n’est pas le chantier principal.

Malheureusement, nous devons faire face à des poches d'insécurité dans le pays depuis de longues années et à l'approche des élections, il n'est pas exclu justement qu'il y ait encore d'autres poches parce qu'il y a des gens qui sont tapis dans l'ombre, qui pensent qu'il faut perturber le processus électoral.

Bâtiment de la Commission électorale (CENI) à Kinshasa
La Commission électorale (CENI) est l'organe chargé de l'organisation des élections en RDC. Image : Dirke Köpp/DW

La Céni a fait de son mieux pour enrôler le maximum de Congolais, mais, malheureusement, dans le Rutshuru, dans le Masisi, dans le Kwamouth et dans une partie de Maluku certains de nos compatriotes ne se sont pas fait enrôler du fait justement de l'insécurité. Nous espérons qui pourront l'être.

Mais l'idée c'est de se dire que on ne peut pas ne pas tenir ce rendez-vous électoral parce que, comme on a fait le choix d'être une République démocratique, il faut qu'on aille vers la consolidation de tous ces acquis que nous avons si chèrement acquis et nous allons nous assurer que cela se fasse et que les menaces sécuritaires que vous relevez soient gérables. 

Je pense qu'aujourd'hui, par exemple,  dans le Kwamouth, il n'y a plus de menaces comme c'était le cas il y a quelques mois encore. Ce n'est pas encore la situation optimale, mais au moins il y a des avancées. 

Sur la situation dans l'est, c'est la grosse question... Mais là, on peut se dire aussi que nous sommes engagés sur la bonne voie. Il y a encore eu des dernières réunions à Luanda où il y a des engagements qui ont été pris. L'idée ici, c'est de voir que les uns et les autres respectent leurs engagements. 

Pour ce qui nous concerne, dans le cadre de ces processus, nous préparons le pré-cantonnement, puis le cantonnement tel que cela avait été prévu, et nous espérons que dans les jours qui viennent, nous aurons plus de lisibilité sur la suite, tout au moins pour la question de la sécurité dans l'est du pays.

Et pourtant, on a l'impression que la situation ne change pas beaucoup. Au début de son mandat, le président Tshisekedi avait promis de mettre le QG de l'armée des FARDC dans l'est. Pour l'instant, les gens attendent toujours…

Felix Tshisekedi à Goma, entouré de personnes
Le président Felix Tshisekedi pendant sa visite à Goma en juin 2021.Image : Giscard Kusema

Le Président de la République s'était installé tout le mois de juin 2021 dans l'est. J'étais avec lui. On est resté trois semaines là-bas. 
Les provinces du Nord Kivu et de l'Ituri sont sous état de siège. Il n’y a peut-être pas meilleure manière de rapprocher ceux qui détiennent le pouvoir de la contrainte dans le militaire, de là où il y a des problèmes. Mais malheureusement, nous avons fait face à la.... j'allais dire la mauvaise foi ou tout au moins à la belliquosité du président Kagamé. 

Parce que le président de la République, souvenez-vous, il a tendu la main à la fois au président Kagamé et au président Museveni pour que nous puissions aller vers la normalisation. Mais malheureusement, cette normalisation ne correspondait pas à l'agenda du Rwanda qui malheureusement ne pense pas pouvoir se construire avec l'est de la RDC en paix. 

Parce que finalement, cette guerre a plutôt des racines économiques ; ils veulent maintenir un système de prédation et de corruption dans l'est de la RDC. Mais nous espérons que cette fois-ci, c'est la dernière parce que nous sommes véritablement engagés à y mettre fin.

Une peinture sur un mur qui montre une personne qui crie "paix" en différentes langues.
Un casque-bleu devant une des bases de la Monusco à Goma - la paix est encore bien loin dans cette région de la RDC.Image : Pablo Porciuncula/AFP/Getty Images

Pourquoi le gouvernement congolais ne discute pas avec les rebelles du M23 ?

Ce sont des terroristes.On ne peut pas discuter avec eux parce qu'ils ont choisi la voie de la terreur. Souvenez-vous qu'après l'adhésion de la RDC à la Communauté de l'Afrique de l'Est, on avait convenu qu'il y aurait deux processus : un processus politique où il devait y avoir des discussions avec les différents groupes armés qui a commencé. Lorsqu'on parle de Nairobi 1, Nairobi 2, Nairobi 3, c'est pendant cette période que les M23 ou le Rwanda ont décidé de refaire la guerre. Et donc on ne va pas accorder, nous, gouvernement, une prime à la violence.

Des soldats du M23, assis sur un pick-up au camp de Rumangabo
"Les M23 sont des terroristes", dit le ministre de la communication. Image : Guerchom Ndebo/AFP

Aujourd'hui, le cadre qui a été établi pour avoir ces genres des discussions, c'est autour du président honoraire du Kenya, Uhuru Kenyatta. Mais pour que les M23 puissent avoir accès, ils doivent cesser le feu, ils doivent se retirer, ils doivent être cantonnés, ils doivent être démobilisés. Ensuite, ils vont rejoindre le processus où ils seront traités à l'égal de tous les autres groupes armés. 

Mais est-ce qu'il ne faut pas parfois faire des compromis pour faire avancer un processus ? Parce que là, le processus est bloqué et ce sont les populations sur place qui souffrent.

Il y a déjà une crise humanitaire qui est catastrophique, plus d'un million de personnes dans les douze derniers mois, il y a eu encore 1,5 million de personnes en plus. C'est totalement dramatique. Et donc aujourd'hui, il faut régler le problème principal qui est la menace du M23, mais pas à n'importe quel prix. 

Donc nous, on ne peut pas commencer, comme je le disais tout à l'heure, à donner la prime à la violence. Ce n'est pas parce qu'ils ont été particulièrement terrifiants - regardez le massacre de Kishishe et tout ce qui s'en est suivi - que nous devons nous dire: écoutez, venez, nous vous donnons ce que vous souhaitez. Et non, cette position ne changera pas.

Nous espérons que le parrain du M23, parce que le M23 n'existe pas, le Rwanda entendra raison et jouera le rôle qui est attendu de lui dans le cadre des différents processus de paix pour arriver à la pacification de l'est de la RDC.

Est-ce que le torchon a définitivement brûlé entre les présidents Tshisekedi et Kagamé ? Parce que ça pourrait aussi être une approche.

Les présidents Paul Kagame et Etienne Tshiskedi devant deux pupitres lors d'une conférence de presse à Goma en juin 2021.
En juin 2021, les présidents Kagame (gauche) et Tshisekedi s'étaient retrouvés à Goma pour parler des relations bilatérales.Image : Giscard Kusema

Nous savons que nous n'allons pas indéfiniment rester dans un climat de tension avec le Rwanda. Nous sommes deux pays voisins, un peu comme des frères.

Et puis à Goma, à la barrière, ça se voit aussi.

Ça se voit. Donc il y a presque pas de frontière naturelle, donc on est lié. Les destins de nos peuples sont liés et même en ce moment il y a des échanges entre les différentes populations. Mais ici, il faut que les choses soient bien claires.      Toutes ces velléités expansionnistes, toutes ces velléités de considérer qu'il a une zone d'influence ou ... ou il doit continuer à faire régner la terreur en RDC - c'est révolu ces temps-là. 

Poste de frontière entre le Rwanda et la RDC
Photo d'archive : la frontière entre le Rwanda et la RDC Image : DW/J. Vagheni

Non ! Nous avons dit non. Et donc aujourd'hui, si vous pensez que le dialogue doit être restauré avec le président du Rwanda, s'il y a des conditions, nous avons été autour du président Lourenco, qui est le médiateur entre les deux pays. Même à ce niveau-là, nous savons qu'il y a des choses sur lesquelles nous devons travailler comme des préalables. Et dans l'idée, ce n'est pas seulement d'avoir deux chefs d'Etat qui discutent, mais l'idée c'est d'avoir deux chefs d'Etat qui discutent avec des objectifs précis, à savoir les intérêts de leur pays respectifs et comment on règle les problèmes de nos populations. 

Dans les circonstances actuelles, ce n'est pas possible parce que le président Kagamé et c'est lui qui arme, qui instrumentalise et qui fait la guerre au Congo. On ne peut pas discuter avec quelqu'un qui nous fait la guerre ! En tout cas, dès que les conditions seront réunies - la cessation du soutien au M23 - dès que le processus aura évolué suivant la feuille de route qui a été tracée, on pourra se retrouver pour discuter et voir comment relancer les relations entre les deux pays.

Et entre-temps, les femmes continuent à se faire violer, des gens se font tuer. Les gens ne peuvent pas aller aux champs, des maisons sont incendiées...

Mon collègue de la Défense a pris un certain nombre d'arrêtés parce que nous avions entendu des soupçons, notamment autour des différents camps de déplacés, sur des pratiques de violences sexuelles et des attaques. Il y a une commission d'enquête qui a été mise en place pour essayer de faire la lumière sur tous ces dossiers.

Vue dans une chambre d'hôpital, des femmes assises sur des lits
Photo d'archive : vue dans une chambre d'hôpital qui accueille des femmes violées.Image : Wolfgang Langenstrassen/picture-alliance/dpa/

C'est dommage parce que les populations paient le prix le plus fort de cette barbarie du régime rwandais. Mais nous espérons que, dès que les questions principales en termes de menaces seront réglées, les populations pourront entrer dans leur logement respectif et y seront plus en sécurité à ce moment-là.

Tout à l'heure, vous avez dit à propos du Maï-Ndombe que les tensions seraient en train de se calmer. Il y a déjà eu des avis comme "Là aussi, c'est le Rwanda qui a ses mains dans le conflit." Qu'est ce que vous pensez de cela ? 

Bon, écoutez, il y a des enquêtes qui se feront qui nous permettront, le moment venu, d'avoir toute la lumière sur le sujet. Parce que là, il y avait des questions de menaces principales qui devaient être réglées parce que les populations mouraient. Il y a eu des opérations militaires, aussi des interventions de la police qui permettent aujourd'hui de dire quela situation à Kwamouth commence à redevenir à la normale. Les principales poches de menaces ont été contenues, mais il reste encore des opérations de ratissage ou de nettoyage parce que certains opèrent à travers le fleuve etc. Au regard de la barbarie et des méthodes utilisées, il y a fort à penser qu'il y a une main noire, pour utiliser une expression courante ici. Mais je ne saurais pas, à ce stade, vous dire si c'est tel ou tel. Parce que les enquêtes pourront démontrer s'il y a eu évidemment quelqu'un qui a instrumentalisé un conflit communautairecomme il en existe partout pour atteindre un tel niveau de violence. 

Le Rwanda est quand même bien loin... Mais il y a d'autres personnes qui disent qu'il y aurait peut-être des traces qui iraient jusqu’à Kinshasa : des politiciens qui seraient impliqués dans ce conflit… 

Bâtiment du Palais de la nation à Kinshasa
Des politiciens impliqués dans le conflit dans le Maï-Ndombe ? Le ministre veut attendre le résultats des enquêtes.Image : Radio Okapi/wikipedia

Ce n'est pas exclu parce que nous sommes en train d'aller dans un processus électoral et il y a beaucoup, évidemment, qui pensent que les élections, ce n'est pas la voie [à prendre] et qu'il faut déstabiliser le pouvoir à tout prix. Mais on verra ce que ça va donner parce qu'ils rencontreront en face d'eux la détermination de nos forces armées et de nos forces de défense pour nous assurer que la sécurité est à tout prix maintenue et que si vous avez des calculs politiques ou des ambitions politiques, venez-vous battre au plan électoral et vous aurez des sièges. C'est peut-être qu'à ce niveau-là que les choses doivent se décider. 

Il y a une procédure spéciale qui a été mise en place pour les journalistes, pour se faire accréditer, pour aller dans le Mai Ndombe. Quelle est la raison pour ça ? 

Parce qu'il y avait justement des problèmes de sécurité. Tout à l'heure, je vous ai dit qu'on n'a pas pu enrôler les compatriotes dans cette partie du pays. Ça veut dire que même les agents de la CENI n'ont pas pu y avoir accès. C'est dire qu'il y avait des impératifs de sécurité. Ici, nous avons déjà perdu Zaida Catalàn et Michael Sharp, paix à leur âme. L'idée, c'est de prévenir pour que les journalistes ne se hasarde pas sur un terrain où leur sécurité peut être compromise. C'est pour ça que nous avons pris cette mesure. Mais c'est une mesure qui s'est fait de manière provisoire et qui devra être levée au fur et à mesure que la situation de sécurité sera restaurée. 

Il y a de temps en temps des rumeurs selon lesquelles la RDC pourrait se tourner vers la Russie, peut-être faire un appel au soutien par les mercenaires du groupe paramilitaire Wagner...

On ne va pas recourir à une milice pour régler un problème de milices. Nous avons une loi de programmation, nous avons une politique de défense. Aujourd'hui, nous pensons que nous faisons ce qu'il faut faire pour assurer la montée en puissance de nos forces armées. 
Evidemment, à travers la coopération avec d'autres armées aussi ou d'autres structures, nous allons travailler. Mais il est hors de question pour nous de recourir à des milices pour régler des problèmes de milices. Ça, ça doit être bien clair.

Merci, monsieur le ministre.

C’est moi qui vous remercie.