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"Pour une paix durable, il faut la justice"

Hugo Flotat-Talon
22 septembre 2021

Interview avec le cardinal Nzapalainga, archevêque de Bangui, et l’imam Abdoulaye Ouasselegue, secrétaire général du Conseil supérieur islamique de Centrafrique.

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Nos deux invités cette semaine sont le cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, et l’imam Aboulaye Ouasselegue, secrétaire général du Conseil supérieur islamique de Centrafrique.

Les deux hommes sont en tournée en Europe en ce moment. Passage par l’Onu pour rappeler à l’organisation les violences dans le pays et ils étaient présents pour des projections du film Siriri, à Berlin.

Ce film revient sur le travail pour la paix du cardinal Nzapalainga et de son ami, l’imam Oumar Kobine Layama, décédé d’une maladie l’an dernier. Un réalisateur, Manuel von Stürler, les a suivis pendant trois ans pour raconter leur combat pour la paix en Centrafrique.

Ce combat, le cardinal Nzapalainga et l’imam Abdoulaye Ouasselegue le continuent. Ils en parlent avec Hugo Flotat-Talon ce matin.  
>>> Lire aussi : A voir ! Le film Sìrìrì, un message de paix pour la Centrafrique

DW : Première question, à vous, cardinal, sur ce film documentaire Siriri : ça vous a fait quoi  de vous voir à l’écran ?  

Cardinal Dieudonné Nzapalinga : Ce film, le premier jour où je l’ai vu, j'ai eu beaucoup d'émotions. Parce que j'ai pensé à mon frère l’imam Kobine Layama, avec qui nous avons mené ce combat. Et nous avons toujours dit que notre destin est uni. Et beaucoup de souvenirs me revenaient en tête. En même temps, ce film vient aussi rappeler aussi la souffrance du peuple centrafricain et son inspiration au retour à la paix.  

DW : Votre binôme de la paix est décédé d’une maladie l’an dernier… Quel binôme formez-vous aujourd’hui avec l’imam Ouasselgue à coté de vous ? C’est une continuité ? Quelque-chose de nouveau ?    

Cardinal Dieudonné Nzapalinga : Pour moi, la mission commencée continue. Mais cette mission continue autrement. Parce qu'Abdoulaye Ouasselegue n’est pas Kobine Layama. Ils sont différents. Et pourtant les deux sont des leaders religieux. Et moi j’accueille comme un don les responsables avec qui je dois cheminer pour inviter les uns les autres a dépassé leurs particularismes.  

Imam Aboulaye Ouasselegue : Disons que la disparition de l'imam a laissé une douleur atroce pour nous. C’est un illustre personnage qui a donné toute sa vie pour défendre le dialogue interreligieux, le vivre ensemble, en mot : la paix. Et pour cela il fallait quand même quelqu'un pour pouvoir porter encore le flambeau, parce qu’on ne doit pas baisser les bras quand on est face à une certaine réalité qui interpelle les responsabilités des leaders religieux.  

DW : Continuez-vous à dire que ce n’est pas un problème religieux, tous ces conflits depuis des années ? 

Imam Aboulaye Ouasselegue : Ce qui nous réconforte, c'est le fait que ceux qui disaient hier que c'était un affrontement ou une confrontation interconfessionnelle ce sont déjugés eux-mêmes. Parce qu'ils ont fusionné pour constituer une seule faction à la conquête du pouvoir. Donc, pour nous leaders religieux, c'est déjà une victoire. 

DW : Vous faites référence à l'annonce en décembre dernier, de la fusion des trois principaux groupes armés qui ont formé la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Et, justement, ces groupes, vous les avez rencontrés, vous n’avez pas hésité à aller leur parler quand ils menaçaient Bangui en début d’année. Comment faites-vous et est-ce que vous avez l’impression que ça aide réellement sur le terrain ?  

Imam Aboulaye Ouasselegue : Notre stratégie, c'est d'essayer de leur faire prendre conscience de la gravité de la situation. Nous nous évertuons à parler à travers tous les moyens mis à disposition. A savoir : les serments, les prédications et autres appels ou sensibilisations, pour que ces gens-là comprennent que la violence ne résout aucun problème. Mais notre grand souhait aussi, c'est de voir un jour aussi, tous ceux qui ont donné toutes les formes de souffrance ou des violences envers  la population... Il faudrait qu'un jour la justice prenne ses responsabilités et leur demande : "Pourquoi vous avez fait ça ?". Pour garantir une paix durable, il faut faire régner la justice 

DW : Vous étiez récemment à l’Onu… Vous pensez que l’organisation peut plus ou peut faire autrement ? Il y a déjà 15.000 personnels sur place… Des casques bleus gabonais viennent d’ailleurs d’être retirés du territoire après des accusations d'exploitation et d'abus sexuels …  

Imam Aboulaye Ouasselegue : L'Onu doit appliquer de manière stricte ce que le conseil de sécurité lui avait conféré. 

>>> Lire aussi : Comment l'Onu peut sanctionner des casques bleus

DW : Qu'est-ce que ça veut dire  exactement ?  

Imam Aboulaye Ouasselegue : On vient pour protéger, on ne vient pas pour exposer, on ne vient pas pour éclabousser, on ne vient pas pour aggraver la souffrance. Donc appliquer de manière stricte, c'est de le faire avec l'éthique de ce que nous appelons les droits humains. 

DW : On parle insécurité. Ce n’est pas un problème seulement en Centrafrique. Le Mali discute en ce moment avec la société russe Wagner sur un éventuel déploiement de paramilitaires. Il y en a déjà en Centrafrique justement. Comment voyez-vous tout cela ?  

Cardinal Dieudonné Nzapalinga : Il faut dire les choses. Vous allez en Irak, en Afghanistan… Vous trouvez ce genre de choses. Ce n’est pas une pratique nouvelle. Et nous savons bien que le mandat de la communauté internationale, de l’Onu, ne permet pas que les militaires de l’Onu puissent entrer dans la brousse, les forêts, pour parler, pour arrêter. Nous avons maintenant d’autres protagonistes qui entrent dans les forêts. Maintenant, ce que moi je demande, c’est qu’on respecte les droits humains.  

DW : Question ouverte : que vous souhaiter à tous les deux pour les mois, les années à venir ?   

Cardinal Dieudonné Nzapalinga : On souhaite, à nous, mais surtout à la population, la paix. Que les uns et les autres comprennent qu’il est temps de nous regarder comme des frères. Il est temps de pouvoir construire ce beau pays, il y a de la place pour tout le monde. Et qu’on cesse, par convoitise, de venir prendre aussi - parce qu’il y a un enjeu géostratégique- les richesses. Les richesses sont là pour la population. Et elles ont droit aussi à une route. Elles ont droit aussi à un hôpital. Elles ont droit à une école, à une université… Donc nous en appelons à la responsabilité des uns et des autres.