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Sécurité alimentaireBurkina Faso

"Un Burkinabè sur dix est en crise alimentaire aiguë"

Charles Bako
23 avril 2023

Interview avec Elvira Pruscini. La représentante du Programme alimentaire mondial (PAM) au Burkina Faso revient sur la crise alimentaire qui touche le pays et menace de s'aggraver dans les prochains mois.

https://p.dw.com/p/4QHJ5

Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies au Burkina Faso s’efforce de résoudre la crise humanitaire dans ce pays.

3.400 tonnes de vivres seront ainsi distribuées d’ici juin à 280.000 personnes en situation d’insécurité alimentaire. Ces denrées alimentaires seront composées de riz, de sorgho, de légumineuses et d’huile.

Le PAM envisage aussi d’assister plus de 121.000 élèves à travers son plan d’alimentation scolaire d’urgence.

Dans cette interview, la représentante du Programme alimentaire mondial au Burkina Faso, Elvira Pruscini, souligne toutefois que le nombre de personnes qui souffrent d’insécurité alimentaire a doublé : il est passé de 22.400 à 42.700 personnes et la plupart d’entre elles se trouvent dans les régions du Sahel et de la Boucle du Mouhoun.

Lisez ci-dessous ou écoutez ci-dessus l'interview avec Elvira Pruscini.

DW : Le Programme alimentaire mondial au Burkina Faso avait alerté sur le fait que près de 3,5 millions de personnes avaient besoin d’une aide alimentaire d’urgence au Burkina Faso. A ce jour, quel est l’état des lieux ? 

Ces chiffres viennent des résultats de l’analyse de la sécurité alimentaire. Cette analyse, connue sous l’appellation de "Cadre harmonisé", est conduite par le gouvernement avec ses partenaires techniques et financiers dont le PAM fait partie. 

Selon les résultats des travaux de la dernière session du "Cadre harmonisé", publiés en fin mars 2023, ce sont plus de 2,6 millions de personnes, soit 10% de la population du Burkina Faso, qui sont en phase de crise alimentaire aiguë (phase 3+) entre mars et mai 2023. 

On estime qu’entre juin et août, pendant la période de soudure qui est la période précédant les premières récoltes, il pourrait y avoir jusqu’à 3,4 millions de personnes, soit 15% de la population du pays, qui seront dans une situation d’insécurité alimentaire très critique. 

C’est-à-dire que les ménages concernés ont une consommation alimentaire insuffisante et qu'ils ne sont pas en mesure d’assurer certaines dépenses non-alimentaires sans avoir recours à des stratégies d'adaptation de crise telles que la réduction du nombre de repas ou la privation de repas pour favoriser les enfants et les personnes âgées. Cela peut aller jusqu’à contraindre les ménages les plus touchés à brader leurs biens pour pouvoir se nourrir. 

Un point préoccupant est que le nombre de personnes qui connaissent des niveaux d’urgence (phase 4) et catastrophiques (phase 5) d’insécurité alimentaire ont doublé, passant de 22.400 à 42.700 personnes qui se trouvent principalement dans les régions du Sahel et dans la Boucle du Mouhoun. Cela nécessite une assistance alimentaire d’urgence pour éviter une catastrophe humanitaire.  


DW : A quand la reprise des  opérations de ravitaillement ? 

Depuis janvier 2023, le PAM a commencé une opération d’urgence à grande échelle visant à apporter une assistance vitale à un plus grand nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë qui se trouvent dans les zones enclavées et difficiles d’accès. Cette opération inclut le transport de vivres par voie terrestre et par des ponts aériens à travers l’utilisation d’hélicoptères. 

De janvier à mars 2023, le PAM a pu apporter une assistance alimentaire vitale à plus de 189.000 personnes avec 2.876 tonnes de vivres héliportées dans les zones difficiles d’accès par voie terrestre. 

La mise à l’échelle opérationnelle était initialement prévue pour trois mois, de janvier à mars 2023. Elle sera prolongée jusqu’à juin 2023, car nous n’avons pas pu atteindre le nombre de personnes planifié à cause de différentes contraintes opérationnelles liées à la mise en place de l’opération héliportée, une première au Burkina Faso.  

D’avril à juin 2023, le PAM prévoit d’acheminer par voie aérienne et distribuer plus de 3.400 tonnes de vivres et intrants nutritionnels à 280.000 personnes. 

Pour cela, le PAM a urgemment besoin de financements à hauteur de 26.5 millions de dollars américains, soit plus de 17,2 milliards de francs CFA. A défaut de financement, le PAM ne pourra pas poursuivre cette opération.

Si ces opérations doivent être prolongées jusqu’à la fin du mois d’août pour atteindre le besoin de la période de soudure, le PAM aura besoin de 12 millions de dollars supplémentaires, ce qui ferait un total de 38,5 millions de dollars américains). 
 

DW : Qu’est-ce qui devrait être fourni comme nourriture ? Du riz, du maïs, du blé ? 

Les denrées alimentaires acheminées par ponts aériens et distribuées gratuitement aux personnes qui sont en insécurité alimentaire sont variées. Il y a du riz, du sorgho, des légumineuses et de l’huile.

Ces denrées alimentaires permettent au PAM de composer le panier alimentaire minimum qu’une personne devrait avoir par jour pour couvrir ses besoins énergétiques de base.

En 2022, 80% des denrées alimentaires achetées par le PAM pour ses opérations l’ont été auprès de producteurs locaux. En plus de soutenir l’économie locale et les producteurs locaux, cela permet de réduire les délais de livraison de ces denrées par rapport à si elles étaient importées. 

En plus de cela, le PAM fournit des compléments nutritionnels aux femmes enceintes et allaitantes ainsi qu’aux enfants âgés de six à 59 mois pour prévenir le risque de malnutrition  


DW : Quelles sont les zones qui seront prioritairement concernées ? 

De janvier au 25 mars 2023, les ponts aériens ont été effectués dans treize localités difficiles d’accès par la route dont Arbinda, Bourzanga, Diapaga, Djibo, Foutouri, Gayeri, Kelbo, Mansila, Pama, Solle, Tankoualou, Titao, Tougan. Il y a une dizaine de localités qui sont accessibles par la route et que le PAM ravitaille par voie terrestre. 


DW : Enfin quelle est la réponse d’urgence que le PAM propose aujourd’hui pour aider surtout les enfants déplacés internes qui sont estimés à plus d’un million ? 

Selon les chiffres du Conasur, près de deux millions de personnes déplacées internes ont été recensées au 28 février 2023. La situation au 31 janvier 2023 fait état de plus de 6.300 écoles fermées, affectant plus d’un million d’élèves. 

Depuis 2004, le Programme alimentaire mondial des Nations unies soutient le programme national d'alimentation et de nutrition scolaires du gouvernement, dans le cadre de l’assistance aux mécanismes nationaux de protection sociale.

Fort de cette expérience, le PAM met en œuvre un programme d’alimentation scolaire dit "régulier" qui vise à long terme à proposer dans les écoles des repas préparés à base de produits locaux et un programme d’alimentation scolaire d’urgence.

Les deux programmes sont mis en œuvre de manière intégrée avec d’autres activités étroitement liées : nutrition, aménagement de jardins scolaires, mise en relation avec des producteurs locaux. 


En 2022, plus de 204.000 élèves ont bénéficié de ces programmes d’alimentation scolaire.

Pour promouvoir davantage la scolarisation des filles, le PAM donne en plus des rations sèches à emporter aux filles qui sont dans les deux dernières classes du cycle primaire (cours moyens première et deuxième année).

Le programme d’alimentation scolaire d’urgence s’adresse aux enfants des familles déplacées qui poursuivent leur scolarité dans les localités d’accueil dans le cadre de l’Education en situation d’urgence (ESU) et de la réponse aux déplacements. 

Depuis 2020, le PAM assiste les enfants des ménages déplacés et des familles d'accueil par le biais d'activités d'alimentation scolaire d'urgence, dans les zones à forte concentration de personnes déplacées internes.

Les repas que les enfants reçoivent à l’école leur permettent de mieux se concentrer en classe pour étudier et contribuent également à leur développement physique et intellectuel.  Pour l’année scolaire 2022-2023, le PAM envisage d’assister plus de 121.200 élèves à travers l’alimentation scolaire d’urgence. Ce chiffre pourrait changer en fonction de l’évolution de la situation sécuritaire. 

Au Burkina Faso, le PAM met en œuvre son programme d’alimentation scolaire grâce aux contributions de généreux donateurs dont l’Allemagne qui a octroyé un financement d’une valeur de plus de 4,1 millions de dollars américains à travers le ministère fédéral de la Coopération économique et du développement (BMZ). 

Burkina Faso : Des femmes font la queue près d'un puits d'eau à Goudebou
L'eau et la nourriture sont deux enjeux majeurs pour une grande partie de la population burkinabè qui en manquentImage : Olympia de Maismont/AFP


DW : Les parents de ces enfants déplacés seront-ils aussi aidés ? 

Lorsqu’il y a des mouvements de populations, le PAM apporte une assistance alimentaire inconditionnelle à ces personnes déplacées, pendant trois mois. Ce soutien est rendu possible grâce aux contributions de donateurs, dont l’Allemagne, à travers le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères. Après les trois premiers mois d’assistance inconditionnelle, le PAM conduit une étude et continue à fournir l’assistance inconditionnelle uniquement aux personnes identifiées comme étant les plus vulnérables.  

Lorsque cela est possible, certaines d’entre elles sont intégrées aux activités de relèvement précoce ou de résilience intégrée qui consistent en un paquet d’activités complémentaires. 

Au-delà de l’assistance alimentaire d’urgence, le Programme alimentaire mondial travaille également aux côtés des communautés pour renforcer leurs capacités à faire face à divers chocs, y compris les effets du changement climatique à travers des activités multisectorielles. Cela se traduit par la construction et la réhabilitation d’ouvrages pouvant être utilisés pour mener des activités agricoles, maraîchères ou pastorales : 8.200 hectares de terres dégradées ont été réhabilités en 2022. 

En 2022, ce sont 314.000 personnes, dont des personnes déplacées internes dans cinq régions, qui ont bénéficié de ces activités : Centre-Nord, Est, Nord, Plateau central et Sahel. En 2022, sur les personnes ayant bénéficié des activités de résilience, 12% étaient des déplacés internes. Cette année, le PAM va sur une estimation de 20% à 30%. 

Pour la mise en œuvre des activités de résilience, le PAM bénéficie également du soutien financier du ministère allemand de la Coopération économique et du développement (BMZ).