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Les grins de thé, espaces de liberté au Burkina Faso

3 janvier 2024

Du thé et des échanges sur l’actualité... la DW a suivi un grin à Dassasgho, à Ouagadougou, où les prises de paroles contestataires font partie du jeu.

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Manifestation des jeunes au Burkina Faso.
Au moins une douzaine de dissidents ont été "réquisitionnés" au Burkina Faso pour "participer" à la lutte anti-djihadiste, pour avoir critiqué les autorités militaires selon l'ONG Human Rights WatchImage : Olympia de Maismont/AFP

Les grins sont des espaces de discussion et de rencontre au Burkina Faso. Les membres qui s'y réunissent discutent dans une atmosphère familière, plaisantent et peuvent même remettre en cause certaines décisions.

Actualité politique, sociale, sportive et environnementale, aucun sujet n'est tabou ici, même les plus sensibles.

Nous sommes dans le quartier populaire de Dassasgho. Il fait plus de 35 °C, mais rien n'entame la détermination de ces jeunes étudiants venus "égrener" l'actualité autour du thé – d'où le nom donné à ces groupes, le "Grin de thé".

L'un des thèmes débattus cet après-midi est la relégation du français au rang de simple langue de travail par les autorités militaires burkinabè.

"Soixante ans après les indépendances, je pense qu'il était plus que nécessaire même que nous reconstruisions notre identité, parce que la langue, c'est le reflet de notre identité", a expliqué Touré, qui apparemment soutient la décision.

"Je ne suis pas trop d'accord avec toi", a répondu Birba, estimant que "nous sommes dans un contexte où il ne faut pas prendre cette décision-là".

"Toi, tu dis quoi au juste", a répliqué Kaboré en précisant que "c'est le moment de revaloriser nos langes"

Des passants à Ouagadougou
Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré avait signé en avril un décret de "mobilisation générale" d'une durée d'un anImage : picture-alliance/abaca/AA/O. De Maismont

Débat passionnant

Aujourd'hui, à Dassasgho, les opposants à la décision des militaires sont en minorité, mais ils ne veulent pas céder et le débat devient passionnant.

"Quand on dit même que c'est une langue de travail, beaucoup n'arrivent pas à comprendre", s'est demandé l'un des participants avant qu'un autre ne renchérit : "Mais pour toi, quel est le pourcentage de personnes qui parlent la langue française ?"

"En tout cas, peu de personnes comprennent le français, mais il est mieux de promouvoir nos langues nationales", a répondu Michel.

"Actuellement, nous sommes en pleine transition. Donc, on ne peut pas laisser passer cela. Il y a des décisions qu'on ne doit pas prendre en ce moment", a insisté Birba.

La relégation du français divise. Et rares sont les personnes qui s'expriment ouvertement sur le sujet dans le pays. Les autorités ne badinent pas, toute voix critique risque d'être réquisitionnée pour aller au front.

Pour Alassane Traoré, c'est seulement au grin que les jeunes peuvent s'exprimer librement et sans crainte.

"Il n'y a pas de restriction, il n'y a pas de contrainte, il n'y a pas de réglementation, il n'y a rien qui soit cadré. Chacun peut librement exprimer sa pensée sans être inquiété. Également, ce sont des espaces où aucun sujet n'est tabou, aucun sujet n'est trop sensible pour ne pas être abordé. Je pense qu'il y a déjà cette aisance-là, il y a l'environnement même déjà, qui est propice à ce que chacun puisse s'exprimer librement", a-t-il expliqué.

Les grins se réunissent à des horaires variables et c'est à la fois un refuge et un espace ressource, où les hiérarchies qui structurent habituellement les rapports sociaux s'estompent.