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"Biden c'est un retour à l'Amérique impérialiste en Afrique"

20 janvier 2021

Gnaka Lagoke est maître-assistant à l'université Lincoln de Philadelphie. Il estime que l'arrivée de Joe Biden risque de marquer un retour des vieilles méthodes en Afrique.

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Joe Biden prête serment aujourd'hui, à Washington. La cérémonie scelle sa prise de fonctions à la présidence des Etats-Unis.

Donald Trump n'aura pas laissé que des bons souvenirs en Afrique - beaucoup ont du mal à lui pardonner sa sortie sur les "pays de merde", par exemple. Néanmoins, le président sortant a laissé le continent africain relativement "tranquille", de l'avis de certains, ce qui pourrait changer avec la nouvelle administration au pouvoir.

C'est pourquoi Gnaka Lagoke, maître-assistant à la Lincoln University de Philadelphie, aux Etats-Unis et fondateur de la "Convention pour le panafricanisme et le progrès", prône une prise de conscience panafricaniste afin que les populations africaines fassent davantage pression sur leurs dirigeants pour que ces derniers défendent mieux les intérêts de l'Afrique face aux grandes puissances. Il s'en explique dans cette interview au micro de Sandrine Blanchard :

***

DW : Gnaka Lagoke, bonjour. Vous vivez aux Etats-Unis. Joe Biden va prendre ses fonctions. Attendez-vous de grands changements de la politique américaine vis-à-vis de l’Afrique ?

Il faut savoir que Joe Biden fait partie de l’establishment politique aux Etats-Unis. Malgré tout ce qu’on peut reprocher à Donald Trump – qu’il ait été soutenu par des racistes, qu’il ait pris des mesures impopulaires, il n’a pas engagé de politique particulière pour accroître l’impérialisme américain en Afrique. Il n’a pas non plus engagé de guerre en Afrique, contrairement à Obama dont le vice-président était Joe Biden qui est maintenant le nouveau président des Etats-Unis. Donc avec Biden, on risque de retourner à la normale, d’une Amérique impérialiste capable de causer des guerres pour défendre ses intérêts, comme c’était le cas avec la Libye.

 

DW : Joe Biden a déjà indiqué qu’il poursuivrait sur la lancée d’un soutien des investissements privés américains en Afrique. Quels peuvent être les intérêts des entreprises américaines en Afrique ? Les matières premières pour la haute technologie ?

Les grandes puissances sont engagées dans une compétition par rapport aux ressources africaines. La Chine tient une place importante en Afrique, la Russie est de retour… donc sans doute que Joe Biden pense qu’en soutenant les compagnies américaines par rapport au développement, cela permettrait à l’Amérique d’avoir un avantage compétitif par rapport à la Chine, à la France ou à l’Allemagne.

 

DW : Notamment pour les entreprises de service ou de divertissement ?

Avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, il y a une bataille avec la Chine autour de la 5G. Donc il veut promouvoir tout ce qui peut permettre à l’Amérique de se positionner dans ce secteur et là où les Etats-Unis ne sont pas représentés correctement Afrique.

 

DW : La zone de libre-échange en préparation en Afrique peut-elle aussi être attrayante pour les entreprises américaines ?

Que la zone de libre-échange existe ou non entre pays africains, l’Amérique trouvera toujours les moyens d’investir davantage en Afrique. Avec Joe Biden, l’Amérique retourne à la normale : l’Amérique et sa diplomatie économique, celle qui va utiliser son soft power, comme on l’a vu avec Clinton, avec Obama. Et il est possible qu’avec Joe Biden, l’Amérique soit plus militariste dans certains espaces dans le monde, notamment en Afrique.

Joe Biden s'est déjà rendu au Kenya et en Somalie quand il était vice-président
Joe Biden s'est déjà rendu au Kenya et en Somalie quand il était vice-présidentImage : AP

DW : Est-ce que les Etats africains, les populations ont intérêt à ce retour à la normale aux Etats-Unis ?

Les sentiments sont mitigés. J’ai parlé avec certains Africains qui, malgré tout ce que Donald Trump représente, estimaient qu’il représentait "le moindre mal" pour l’Afrique, parce qu’il n’a pas engagé de guerre en Afrique, contrairement à Barack Obama, en Libye ou en Côte d’Ivoire ou d’autres espaces en Afrique.

Et on a entendu le nom de Susan Rice qui ferait partie de l’administration de Joe Biden. Elle est impliquée dans le génocide au Rwanda en 1994, dans la crise en Libye et en Côte d’Ivoire… ce sont des signaux qui inquiètent les Africains attachés à l’esprit de souveraineté africaine.

Donc les gens peuvent avoir de bonnes relations avec Joe Biden, du point de vue du business, mais il ne faut pas oublier qu’il marque le retour de l’Etat profond.

Si les Etats africains sont bien organisés, que la conscience collective panafricaniste devient très forte, les Africains pourront imposer de nouvelles règles de négociation avec les puissances occidentales.

Sinon, si les Africains continuent d’être divisés, les puissances européennes ou asiatiques continueront d’aller en Afrique pour l’exploiter davantage. Si l’on considère par exemple des négociations entre la Gambie et les Etats-Unis ou entre le Sénégal et la Chine… on voit des situations de négociation avec des petits Etats en Afrique. Alors que déjà quand les Etats africains arrivent soudés, en tant que grands ensembles régionaux, c’est difficile à cause de l’interférence des puissances occidentales et asiatiques.

 

DW : Est-ce qu’à votre avis les Etats africains – ou l’Union africaine – vont changer de comportement, de politique vis-à-vis des Etats-Unis dirigés par Joe Biden ?

Beaucoup d’entre eux auront le sentiment d’être plus respectés. Peut-être même l’illusion que leurs intérêts seront mieux pris en compte par l’administration américaine. Mais, que ce soit pour les dirigeants africains, pour l’UA ou pour les leaders d’opinion en Afrique, aujourd’hui, le plus important est la promotion d’une conscience collective africaine, l’utilisation des ressources des Africains par les Africains, parce que, que ce soient les Etats-Unis, la France, l’Allemagne ou l’Angleterre, ces puissances ne vont pas en Afrique pour participer au développement du continent.

 

DW : Est-ce que la plupart des dirigeants africains actuellement au pouvoir ne sont pas eux aussi dans ce système que vous proposez de combattre ? Ils négocient encore avec le FMI, l’OMC, ils promeuvent des idéaux qui sont les mêmes que ceux des pays occidentaux…

Oui, c’est sûr. Mais c’est un processus. A un moment donné, le panafricanisme a été en hibernation, après le renversement de Kwame Nkrumah, dans les années 1970. Après, dans les années 1980, il a ressurgi, avec Mandela ou Sankara. Et aujourd’hui avec les mobilisations des Africains contre le Franc CFA, ou pour la justice économique, on voit que la conscience panafricaine est de retour. Ceci est une forme de pression des populations sur leurs leaders. On verra ce qui se passe dans les années à venir, comment les choses vont progresser.