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EconomieAfrique

Abdoul Salam Bello : "L'Afrique reste une priorité pour la Banque mondiale"

20 avril 2023

Dans cet entretien, Abdoul Salam Bello, Administrateur de la Banque Mondiale revient sur comment l'institution peut aider les pays africains à poursuivre leur développement malgré la crise mondiale. Il salue également les performances des pays comme le Togo et le Niger.

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Le Groupe de la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) sont les deux grands partenaires des pays en développement. De retour d’une tournée africaine au Niger et au Togo à la veille des réunions de printemps des deux institutions, le président de la Banque mondiale, l’Américain David Malpass, a dit vouloir placer le Sahel au cœurs des projets de l'institution.

Comment donc la Banque mondiale peut-elle aider les pays du Sahel, en pleine crise sécuritaire, à poursuivre leur développement ? C’est ce qu’a expliqué Abdoul Salam Bello, l’un des administrateurs de la Banque mondiale dans cet entretien.  

Entretien :

DW : Bonjour monsieur Abdoul Salam Bello

Abdoul Bello : Bonjour, Bonjour !

DW : Les réunions de printemps du Groupe de la Banque mondiale et du FMI rassemblent chaque année les acteurs du développement. C'est l'occasion de se pencher sur les défis les plus urgents et sur les solutions qui vont permettre de favoriser la croissance ainsi que la lutte contre la pauvreté. Mais dites-nous comment les institutions comme le FMI et le Groupe de la Banque mondiale peuvent-elles aider les pays, notamment ceux du continent africain, à traverser ce moment de crise ?

Bello : Comme vous le savez, le Groupe de la Banque mondiale est une institution pour le développement. Et comme vous le savez aussi, ces dernières années le groupe de la Banque mondiale s'est très fortement mobilisé pour soutenir nos pays dans les différentes phases, aussi bien de crise que de développement.

Dans le cas des crises, le groupe de la Banque mondiale a une stratégie sur la fragilité. Donc, comment aider les pays à sortir donc de ces crises de fragilité, mais aussi sur les questions liées aux crises sur l'économie, et par des appuis budgétaires soutenus par les réformes que mènent des pays. Le Groupe de la Banque mondiale travaille aussi dans le cas du secteur privé, pour mobiliser un secteur privé efficace, diligent pour soutenir le développement économique de nos pays. Et naturellement, l'institution ne travaille pas seule, elle utilise son savoir-faire, mais aussi sa capacité de mobilisation des autres partenaires afin d'apporter des réponses les plus adéquates possibles à nos pays.

DW : Et face à ces défis, comment arriver à impliquer davantage le secteur privé dans la mobilisation des financements indispensables pour le développement de ces pays ?

Abdoul Bello : Comme vous le savez, le groupe de la Banque mondiale a une institution principalement dédiée au secteur privé qui est la Société financière internationale. Mais en plus de la société financière internationale, le Groupe de la Banque mondiale travaille avec une autre institution, qui s'appelle MIGA, qui est l'Agence de garantie des investissements, qui a fêté d'ailleurs son 35ᵉ anniversaire, là, pendant ces assemblées dont la 1000ᵉ opération d'ailleurs a eu lieu au Sénégal.

Togo - Hafen
Selon la Banque mondiale, la croissance économique de l'Afrique subsaharienne a chuté à 3,6 % en 2022, contre 4,1 % en 2021, et devrait descendre à 3,1 % en 2023.Image : DW/R. Graça

Alors c'est pour vous dire déjà le focus sur l'Afrique, mais en plus même de ces deux institutions, la partie même Banque mondiale, la partie secteur public accompagne aussi nos pays, soit dans le renforcement des cadres réglementaires pour renforcer l'environnement des affaires, l'attractivité, soit aussi pour travailler de concert avec les autres agences du groupe : IFC et MIGA pour créer de l'espace au-delà même réglementaire, mais pour mobiliser et attirer le secteur privé. Parmi les exemples que nous voyons, qui fonctionnent bien et très bien, c'est le modèle Solar, sur les énergies renouvelables où la Banque, IFC et la MIGA travaillent aussi pour développer les capacités de financement dans le secteur de l'énergie renouvelable.

DW : Et aujourd'hui, en matière du climat des affaires, est-ce que les pays africains sont compétitifs ?

Abdoul Bello : Je dirais qu'ils sont compétitifs. Beaucoup de nos pays dans le cadre de l'ancien système de mesure du climat des affaires, ont fait énormément de progrès.

DW : Et mais il reste encore beaucoup à faire...

Abdoul Bello : Il reste toujours à faire. Ils ont fait des progrès, mais comme vous le savez, la compétitivité ne se fait pas en vase clos, c'est-à-dire que vous même vous renforcez votre compétitivité. Mais d'autres aussi vont à la même vitesse ou parfois plus vite que vous. Donc, il faut aussi trouver le bon rythme. Mais pour vous dire que certains quand même ont fait beaucoup d'efforts dans l'amélioration de leurs indicateurs en matière d’attractivité du climat des affaires d'une part, mais aussi ont mené des investissements nécessaires pour attirer le secteur privé.

Un pays que moi je peux donner en exemple, c'est un pays comme le Togo. Quand vous voyez les investissements qu'ils ont fait dans l'amélioration de l'environnement des affaires, ils le font non pas pour améliorer juste leurs indicateurs pour les montrer au monde mais ils le font aussi pour eux-mêmes afin de renforcer la performance économique, la gouvernance interne, etc. Mais de l'autre côté, ils ont aussi investi dans le cadre environnemental, physique je dirais, c'est à dire dans les infrastructures, pour renforcer aussi le positionnement du pays dans l'attractivité. Vous avez le port en eau profonde, vous avez tous les efforts que le pays a fait dans la digitalisation, l'économie numérique et vous verrez aussi par exemple le câble sous-marin avec Google... Le premier node africain est au Togo, à Lomé. Nous l'avons visité il y a quelques jours avec le président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass.

Donc vous voyez que ces investissements, le port en eaux profondes, la connectivité digitale, mais aussi les infrastructures routières qui permettent aussi de connecter vers les régions du Nord et du coup vers l'hinterland de l'espace sous-régional. Donc, ce que je voulais dire, c'est que vous avez des pays effectivement qui sont fortement mobilisés sur l'attractivité du secteur privé. Vous voyez, dans la stratégie, dans le Plan national de développement du Togo, la contribution du secteur privé dans la mobilisation des ressources. Donc, effectivement, il y a des pays qui font ces efforts et ça fonctionne. Et je pense que c'est important de mettre ça en relief.

Nigeria | Hafen in Apapa
Le Port autonome de Lomé s’affiche comme premier port à conteneurs et premier port en eaux profonde de la côte ouest africaine. Image : Benson Ibeabuchi/AFP/Getty Images

DW : Et Monsieur Bello, l'une des préoccupations de la Banque mondiale en ce moment en Afrique est le Sahel. Alors, comment créer le développement dans un Sahel en crise climatique et sécuritaire grave ?

Abdoul Bello : Oui, vous savez, le Groupe de la Banque mondiale est le premier partenaire au développement et de très loin pour les pays du Sahel. Je pense qu’on ne le dit pas assez. Au cours des dix dernières années, le volume d'engagements du Groupe de la Banque mondiale au Sahel a été multiplié pratiquement dans l'espace du G5 par dix.

Donc, un pays comme le Niger a un portefeuille aujourd'hui, qui est de 4.6 ou 4.7 milliards de dollars, c'est le plus gros portefeuille d'opérations en Afrique de l'Ouest après le Nigeria. Donc, ça montre quand même que l'institution reste engagée et mobilisée. Au cours des dernières années, l'institution a aussi développé un certain nombre d'instruments qui permettent de mieux ajuster aussi et au bien, de mieux cerner et répondre aux besoins spécifiques.

On a parlé de la question de la fragilité... Par exemple, la Banque mondiale a un instrument qu'on appelle l'allocation pour la prévention et la résilience, qui permet aussi de renforcer ces sujets-là, pour en particulier les pays du Sahel. Mais ce n'est pas dédié uniquement aux pays du Sahel, mais ça permet de répondre à certaines problématiques de fragilité.

Vous avez aussi parlé des questions climatiques. Là, le premier rapport sur le climat et le développement du Groupe de la Banque mondiale a porté sur les cinq pays du G5 Sahel, afin de voir aussi quelles sont les problématiques liées au climat, à la gestion des terres, des ressources naturelles. Et dans ce cadre-là, la Banque travaille non seulement sur le plan national, c’est-à-dire sur le bilatéral avec chacun des pays, mais la Banque a aussi développé des instruments sur le plan régional et sous-régional dans l'espace sahélien. Que ce soit sur les questions de développement humain avec un programme phare sur l'autonomisation des femmes et le dividende démographique qui vraiment donne d'excellents résultats et qui va avoir une nouvelle phase.

Vous avez un programme sur le pastoralisme au Sahel, qui lui-même va entrer dans une deuxième phase. Et vous avez d'autres programmes sur l'irrigation qui est porté aussi avec les institutions sous-régionales comme le CILSS (Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel, ndlr). Donc, vous voyez, encore une fois, on parle de partenariat. Ce type de partenariat fonctionne, mais pour vous dire vraiment que le Groupe de la Banque mondiale est vraiment mobilisé pour soutenir, sans oublier aussi les autres secteurs qui sont très importants, le secteur de l'énergie et l'énergie renouvelable. Au Niger, il y a un programme axé sur l'accès à l'énergie qui va donner beaucoup de résultats. Vous avez le programme Scaling Solar de Haïti. Vous avez également bien sûr, les différents guichets du secteur privé qui aident à la mobilisation des ressources en faveur des projets comme la Grande muraille verte.

DW : Vous revenez d'une tournée africaine avec le président de la Banque mondiale, David Malpass. A Niamey, il a dit être attentif aux besoins spécifiques du Niger, notamment dans le domaine de l'éducation, la santé, l'hydraulique et bien sûr la sécurité. Mais comment un Etat comme le Niger peut maintenir les services publics tout en faisant face à des situations inédites d'insécurité, de sécheresse ou bien d'instabilité financière ?

Abdoul Bello : Oui, c'est là où on a besoin de travailler plus et mieux avec nos institutions partenaires déjà pour aider à la mobilisation des ressources, des ressources internes d'une part, mais aussi voir quel est l'espace que l'on a pour mobiliser d’autres ressources pour financer aussi plus et mieux les secteurs qu'on appelle les secteurs sociaux comme la santé et l'éducation. Et en cela, la Banque mondiale travaille beaucoup. Par exemple, au Niger, il y a un grand programme pour apporter une réponse aux besoins dans le secteur de l'éducation. La banque se mobilise aussi pour soutenir la vision du président Bazoum sur la construction de salles de classe afin de répondre aussi aux besoins liés aussi à la poussée démographique.

Niger Tillabéry | Entwicklungsprojekte für die Sahel-Länder
Le gouvernement du Niger se concentre sur l'amélioration des performances à long terme du secteur de l'éducation à travers plusieurs grandes réformes.Image : Alliance Sahel/Aude Rossignol

Donc, la Banque reste mobilisée sur ces questions-là, et elle continue et continuera de le faire dans l'espace sahélien. D'ailleurs, il y a un livre blanc qui a été lancé à Nouakchott en décembre 2021, un livre blanc sur l'éducation au Sahel. Et on regarde aussi les questions liées au développement humain dans l'espace sous-régional. Donc, comme vous le voyez, la Banque travaille avec nos pays, dans le bilatéral mais aussi sur le plan régional pour voir comment arriver à maximiser l'impact.

DW : Une autre crise est celle du climat. Le réchauffement planétaire a entraîné ou bien entraînera des répercussions profondes et durables sur la santé, mais aussi sur l'économie des pays. Dans ces conditions, comment la Banque mondiale essaie de promouvoir l'action climatique tout en investissant dans les populations et le développement ?

Abdoul Bello : Comme vous le savez, le travail dans le cadre de la réforme du groupe de la Banque mondiale, nous observons effectivement les enjeux globaux qu'on appelle aussi les biens publics mondiaux. Donc, dans ce cadre-là, le climat fait partie de l’agenda de discussion. Mais avant même la question de la réforme de la Banque mondiale, la Banque a toujours été impliquée aussi dans le financement des engagements des agendas climatiques, que ce soit l'alignement sur l'accord de Paris notamment, et les programmes dont on a parlé au début de l’entretien sur la résilience, la restauration des terres, font partie aussi de cet agenda. Donc, la Banque mondiale n'a jamais été déconnectée, si je puis dire, sur l'agenda climatique. Au contraire, si vous regardez bien, c'est l'institution qui a le plus financé d'ailleurs les opérations de l'agenda climatique parmi les banques de développement.

Donc, il n'y a aucune ambiguïté de ce côté-là. Et effectivement, et on ne souhaite pas non plus se retrouver dans un agenda qui soit un agenda climat versus développement. Au contraire, le climat et le développement vont de pair. Les rapports de la Banque mondiale sur le climat et le développement d'ailleurs, font cette fois cette analyse. Les deux doivent aller de pair donc. Le climat doit renforcer le développement, comme le développement doit renforcer la question climatique. Ça doit aller dans les deux sens. Mais nous, on s'assure quand même que l'agenda de développement reste aussi important dans l'ensemble de nos discussions.

DW : Dans un monde en constante mutation, il est préconisé de former aux emplois verts. Est-ce que la Banque en fait sa priorité dans sa stratégie de développement ?

Abdoul Bello : Oui, absolument. Absolument. D'ailleurs, dans les grands programmes sur lesquels nous travaillons, la question de l'emploi reste fondamentale. Et bien entendu, la question des emplois verts. De toutes les façons, la priorité des programmes et des opérations que nous menons, la question de l'emploi, l'emploi des jeunes, des femmes et in extenso bien sûr, les emplois verts vont rester importants et c'est pour ça aussi d'ailleurs, qu'on dit qu’il faut mettre plus de ressources sur l'adaptation. L'adaptation va permettre de générer ces emplois verts de façon plus durable.

DW : Merci monsieur Abdoul Salam Bello

Abdoul Bello : Merci beaucoup. Merci à vous.