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Aziz Mahamat Saleh : "Le gouvernement ne veut rien cacher"

23 février 2023

Le ministre de la Communication du Tchad, Aziz Mahamat Saleh affirme que le gouvernement va sanctionner les auteurs d'actes de torture quand la lumière sera faite sur la répression d'une manifestation le 20 octobre 2022 à N'Djaména, Moundou, Doba et Koumra.

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D'après la Commission nationale des droits de l'homme, les événements du 20 octobre 2022 ont fait au moins 128 morts. Les enquêteurs indiquent aussi dans un rapport d'enquête que la répression était excessive et contraire aux principes de maintien de l'ordre.

Une délégation du gouvernement tchadien est annoncée à Genève dès le 26 février 2023. Composée du ministre de la Justice Mahamat Ahmad Alhabo et son homologue de la Communication Aziz Mahamat Saleh, la délégation va échanger avec le Conseil des droits de l'homme de l'Onu sur la situation au Tchad dans le cadre des examens périodiques.

Les Tchadiens vivent "la peur dans le ventre"

A Genève, l'avocate tchadienne et militante des droits de l'homme Delphine Djiraibé a reçu le 16 février dernier, le Prix Martin Ennals pour les défenseuses et défenseurs des droits humains. A cette occasion, elle affirmé que les Tchadiens vivaient "la peur dans le ventre" depuis la sanglante répression du 20 octobre.

Un avis que ne partage pas le ministre tchadien de la Communication. Selon Aziz Mahamat Saleh, le pays a pris des dispositions en vue de faire la lumière sur ce massacre et punir les auteurs. Il estime aussi qu'il y a un dégel pour favoriser le consensus autour de la transition en cours. 

Un complot pour tuer Mahamat Idriss Déby Itno ?

Des jeunes Tchadiens rassemblés sur une voie publique pour une manifestation suite à un massacre dans le sud du pays
Le cycle de violences et les difficultés économiques compromettent l'avenir de millions de jeunes au TchadImage : Blaise Dariustone/DW

Une rébellion serait-elle en formation pour s'attaquer à l’Etat tchadien avec le soutien du groupe paramilitaire russe Wagner ? C'est en tout cas ce qu'a indiqué ce jeudi (23.02.2023), un article du quotidien américain The Wall Street Journal. Celui-ci cite des officiels américains et européens selon lesquels le groupe Wagner serait en coopération avec des rebelles tchadiens dans le but de déstabiliser le gouvernement, voire même de tuer le président de la transition, le général Mahamat Idriss Déby. 

Cette information relance les questions sur la présence d'un nouveau groupe rebelle formé en Centrafrique voisine. Pourtant, le gouvernement tchadien nie l’existence de cette rébellion au sud du pays. 

Ecoutez ou lisez ci-dessous, l'interview du ministre de la Communication du Tchad, Aziz Mahamat Saleh.

"Un Etat ne s'arrête pas à des événements"


Aziz Mahamat Saleh : Pour vivre la situation au niveau du Tchad, il faut être sur place. La transition a commencé il y a bientôt deux ans. Effectivement, depuis lors, beaucoup de choses se sont passées et il y a eu ces événements malheureux du 20 octobre 2022. Quand vous avez de tels événements dans un pays, il faut pouvoir les regarder en face. 

Il faut savoir situer les responsabilités et avancer. Un Etat ne s'arrête pas à des événements, quoi qu'ils soient douloureux. Et depuis lors, la réconciliation avance. Les mesures de dégel de la situation sont également prises avec un certain nombre de décisions du gouvernement allant dans l'accalmie. Et donc, je ne partage pas ce point de vue selon lequel il y aurait des Tchadiens qui vivraient dans la peur. Ne vivrait dans la peur que celui qui, peut-être, se reproche un certain nombre d'activités et qui ne veut pas répondre à l'appel de la justice.


DW : Vous avez parlé de dégel et pourtant l'opposant Succès Masra depuis justement ces événements du 20 octobre 2022 est toujours en exil. Comment est-ce que vous pouvez parler de dégel, de réconciliation sans certaines figures qui mobilisent encore au Tchad ?

Aziz Mahamat Saleh : Le dégel concerne une situation globale par rapport à l'avancement de la transition. Elle n'est pas liée à une personne, encore moins à un mouvement. Et vous savez, depuis qu'il y a eu ces événements, le procès a eu lieu sur à peu près les 600 personnes arrêtées, il y a à peu près 400 qui ont été soit libérées, soit relaxés pour certaines aussi, et pour un certain nombre dont le jugement a eu lieu, il y a un appel qui est en cours. 

Les mesures de dégel, c'est d'abord le fait qu'il y ait des facilités pour permettre à ce que, trois mois après, les partis politiques soient autorisés à fonctionner. Le dégel, c'est aussi permettre à ce que le procès en appel qui va avoir lieu dans quelques semaines puisse se faire dans de meilleures conditions. Et c'est la raison pour laquelle le gouvernement a transféré de Koro Toro à Moussoro les détenus de telle sorte que les visites des familles et des avocats puissent être facilitées dans le cadre de cet appel. 

Et le dégel, c'est aussi le dialogue, puisque le dialogue continue avec tous les acteurs intérieurs pour discuter sur l'évolution de la transition, les conditions justement les plus idoines pour qu'il y ait une réconciliation de tous les Tchadiens. Ce sont toutes ces mesures d'ouverture que nous voyons. Donc le dégel ne peut et ne sera jamais lié à une personne qui a peut-être un certain nombre de visées personnelles, une envie coûte que coûte à prendre le pouvoir.

DW : Vous faites allusion aux rumeurs qui ont eu cours, faisant état d'une tentative de Succès Masra pour prendre le pouvoir ?

Aziz Mahamat Saleh : Succès Masra ne l'a jamais caché. Dans sa déclaration du 19 octobre, la veille de ce 20 octobre, il haranguait les foules et demandait à ce que, par tous les moyens, nous changions le gouvernement en mettant un gouvernement du peuple pour la justice et l'équité. Il ne l'a pas caché. 

Nous, notre position, c'est d'abord le dialogue. Nous allons dans le sens du dialogue et de la justice. C'est-à-dire que si il y a eu ces événements, il faut que les responsabilités soient situées d'où qu'elles viennent. En plus de cela, il y a une commission d'enquête internationale qui est là depuis déjà plus de deux mois, qui a fait tout le tour du pays, qui a été voir les détenus, qui a été voir les zones du Sud, écouter les familles, écouter le gouvernement. Donc, le gouvernement est dans cette phase où il y a bien évidemment le dialogue, mais il y a aussi la vérité qui doit également jaillir sur ce qui s'est réellement passé.

Faire fonctionner la justice 

DW : Alors vous parlez d'une commission d'enquête pour rencontrer des personnes. Est-ce que cette commission est aussi chargée de clarifier les allégations de torture ? Certains des jeunes qui ont été présentés devant le tribunal, qui avaient été arrêtés après le "jeudi noir", ont fait état de tortures. Certains auraient été obligés de boire leur propre urine. Le gouvernement essaie de clarifier aussi toutes ces allégations, toutes ces déclarations, ces révélations ?

Aziz Mahamat Saleh : La réconciliation et la transition exigent que toutes la vérité soit faite. Donc, le gouvernement ne veut rien cacher sur ce qui s'est passé pour que s'il y a des responsabilités, elles puissent être situées et que des procédures puissent être engagées.

DW : Et sanctionner aussi les auteurs de tortures ?

Aziz Mahamat Saleh : Bien évidemment.

DW : Alors, monsieur le ministre Aziz Mahamat Saleh, parlant du procès des militants du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad, le Fact, le chef de ce mouvement, Mahamat Mahdi Ali, est toujours en exil. Il continue d'être une menace pour le gouvernement de transition, n'est ce pas ?

Aziz Mahamat Saleh : Aujourd'hui, au Tchad, il n'y a pas une menace sur le processus de transition qui est engagée et qui ira à son terme selon les délais qui sont fixés pour un retour à l'ordre constitutionnel. 

A toutes les autres parties qui pensent qu'elles ont une autre voie pour essayer de changer le régime, je dirais presque libre à eux et que bien évidemment, nous leur ferons face si besoin est. Mais nous sommes dans une phase de réconciliation et de dialogue, et même avec les pires ennemis, il faut discuter, il faut échanger pour justement faire avancer le pays. On ne peut pas éternellement être un pays en guerre.

DW : Ce qui veut dire qu'il y a un couloir de discussions avec Mahamat Mahdi Ali ?

Aziz Mahamat Saleh : Il y en a eu dès le début, il y en a eu dès les premiers jours. Monsieur, sachez que le porte-parole du Fact est maintenant à N'Djamena depuis déjà des mois et concernant ses prisonniers également, il y a eu un engagement du chef de l'Etat à la sortie du dialogue qui s'est même engagé à les libérer, si cela aide à ce qu'il y ait une réconciliation et une paix définitive au Tchad. 

Et nous pensons qu'aujourd'hui, la seule solution pour qu'il y ait une paix définitive, c'est d'aller jusqu'au bout de ce processus à travers des élections libres et qui soient reconnues par tous et qui permettraient d'avoir une légitimité et c'est la seule issue que nous voyons. Toutes les autres issues, je pense, sont vaines.

DW : Justement, vous parlez des élections à venir. Est ce que vous pensez que les Tchadiens ont de bonnes raisons de croire que ces élections pourront mettre fin à ce régime d'exception et ouvrir une nouvelle ère au Tchad ?

Aziz Mahamat Saleh : Il est toujours permis de douter. Vous le savez, dès les premières heures de la transition, tout le monde pensait qu'il n'y aurait jamais de dialogue. Donc je pense qu'il faut d'abord voir le gouvernement à l'œuvre pour essayer de juger et non pas déjà anticiper sur un certain nombre de positions négativistes.

DW : Mais ne serait-il pas bien, que le président mahamat Idriss Déby dise à ses compatriotes qu'il se présentera pas ? C'est surtout le point qui qui sème la confusion jusqu'ici.

Aziz Mahamat Saleh : Non. Il n'y a aucune confusion à ce niveau-là. Jusqu'à aujourd'hui, il n'y a personne qui soit candidat à quoi que ce soit jusqu'à aujourd'hui. Vous savez ce qui a posé des problèmes au Tchad depuis 60 ans ? Depuis 60 ans, le problème du Tchad, ce sont les exclusions. Et ce sont les exclusions qu'il créent les rébellions et qui créent l'instabilité. 

Donc la première étape, ça va être un référendum. Nous souhaiterions et espérons qu'il y aura un appui de la communauté internationale pour pouvoir accompagner ce processus, pour s'impliquer, pour que justement il y ait le plus de clarté et de transparence possible, pour éviter toute contestation et que ce soit la démocratie, donc la règle de la majorité qui soit appliquée. 

La vraie difficulté, vous le savez souvent en Afrique, c'est qu'on n'accepte pas d'être minoritaire. Lorsque vous perdez, acceptez.

DW : Le problème, c'est qu'il y a de nombreuses années que certains perdent aux élections et ils disent qu'ils ont perdu parce que les résultats ont été tronqués.

Aziz Mahamat Saleh : Ecoutez, si vous avez une mauvaise équipe et que vous perdez, je suis désolé ! Il faut que vous changiez d'équipe pour pouvoir gagner.

Une nouvelle rébellion depuis la Centrafrique ?

DW : Monsieur le ministre Aziz Mahamat Saleh, il y a une rébellion qui suscite des interrogations au Tchad, une rébellion qui serait en train de s'apprêter en territoire centrafricain pour s'en prendre aux institutions de la République tchadienne. Certains officiels tchadiens ont pris la parole et ont plus ou moins confirmé l'existence de cette rébellion. Que pouvez vous nous dire au sujet de cette rébellion à ce jour ?

Aziz Mahamat Saleh : Ce que je peux vous dire aujourd'hui, c'est que le Tchad contrôle l'intégralité de son territoire. A ce niveau, nous n'avons pas de menace pour déstabiliser le pays. 

DW : Vu la présence en territoire tchadien de l'ex-président centrafricain François Bozizé, qui dirige une rébellion, la Coalition des patriotes pour le changement, la CPC en Centrafrique, certains observateurs pensent que le pouvoir centrafricain pourrait coopérer avec cette rébellion qui a l'ambition de perturber le pouvoir de transition au Tchad. Qu'est ce que vous en pensez ?

Aziz Mahamat Saleh : Je voudrais vous rassurer et vous dire que la semaine dernière, il y a eu un mini-sommet à Luanda où le chef d'Etat du Tchad et également le président centrafricain étaient sur place sous l'égide justement de l'Angola. 

Et il y a eu des discussions très intenses et très avancées sur une meilleure coopération, et pour que les pays voisins puissent vivre en paix. Ce n'est que la coopération entre les deux pays qui fera qu'on trouvera des solutions pour éviter qu'il y ait un engrenage à ce niveau-là.

DW : Monsieur le ministre Aziz Mahamat Sale, merci.

Aziz Mahamat Saleh : Je vous en prie, merci beaucoup à vous, c'était un plaisir.