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Apatrides en Allemagne, une vie en marge de la société // A Jaffa, Juifs et Arabes œuvrent ensemble pour la paix

Anne Le Touzé | Oliver Pieper | Hélène Machline
1 novembre 2023

Leur nombre est estimé à 126.000 en Allemagne : les personnes apatrides sont privées de nationalité. Le nouveau projet de loi qui vise à faciliter l'obtention de la nationalité allemande ne prévoit rien pour leur cas. // En Israël, des habitants de Jaffa, dans le sud de Tel Aviv, tentent de maintenir la coexistence entre Juifs et Arabes en pratiquant l'entraide.

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C'est une chose dont on ne se rend pas forcément compte quand on n'est pas concerné, mais sans carte d'identité, il est difficile d'ouvrir un compte en banque en Allemagne. Réserver une chambre d'hôtel peut aussi s'avérer compliqué car là aussi, il faut indiquer sa nationalité. Se marier est quasiment impossible, quant à devenir fonctionnaire, c'est totalement exclu. 

Christiana Bukalo, apatride née de parents ouest-africains à la nationalité indéterminée
Christina Bukalo a fondé l'ONG Statefree pour donner une voix aux apatrides comme elleImage : Dominik Morbitzer

Christina Bukalo, 29 ans, est une de ces personnes dépourvue de nationalité. Elle est née en Allemagne, mais apatride. Et pour elle, le quotidien peut à tout moment se transformer en défi :

"On ne peut pas voyager librement car il faut un passeport. On a du mal à trouver un emploi. Démarrer des études est souvent difficile, mais les terminer aussi. Je connais des gens qui n'ont pas pu boucler leurs études car ils auraient dû présenter un acte de naissance pour passer l'examen final. Et les apatrides n'ont pas le droit de vote, même s'ils ont toujours vécu ici."

Les parents de Christina Bukalo sont originaires d'Afrique de l'Ouest, leur nationalité n'est pas clairement établie. Sa famille et elle font partie du nombre croissant d'apatrides en Allemagne. Ils sont actuellement 126.000 ! Nombre d'entre eux sont palestiniens, kurdes ou anciens citoyens de l'Union soviétique ou de la Yougoslavie, dont les Etats n'existent plus. 

C'est une vie en marge de la société, car les apatrides sont exclus de beaucoup de domaines. Christina Bukalo a appris dès son plus jeune âge ce que l'absence de nationalité signifie.

"Dès l'enfance, on t'apprend que tu n'as pas ta place. Tu ne dois pas rester là, mais dans le même temps tu ne peux pas non plus partir. Ce sont des choses très banales: échanges scolaires, voyages linguistiques, séjours au ski à l'étranger, rien de cela n'est possible. Et c'est aussi lié à un grand sentiment de honte car il faut expliquer quelque chose qu'on ne t'a jamais expliqué." 

Statefree, la voix des apatrides en Allemagne

Capure d'écran du site statefree.world
L'organisation Statefree veut notamment informer les apatrides de leurs droitsImage : statefree.world

Pendant longtemps, les informations sur et pour les apatrides ont été aussi invisibles que les apatrides eux-mêmes. Christina Bukalo a décidé il y a deux ans de leur donner une voix. Elle a fondé à Munich l'organisation de défense des droits humains Statefree. Son objectif : combler les lacunes, informer, faire se rencontrer les personnes concernées, rendre l'apatridie visible et aussi présenter des revendications à la classe politique. Notamment en ce qui concerne la reconnaissance des enfants d'apatrides.

"Nous exigeons que les enfants apatrides nés en Allemagne soient identifiés immédiatement comme apatrides, et qu'ils aient aussi directement droit à la nationalité allemande au cours des cinq premières années de leur vie." 

En Allemagne en effet, ce n'est pas le droit du sol qui détermine la nationalité, mais la filiation. Si les parents sont apatrides, alors leurs enfants le sont aussi. Conséquence : un apatride sur trois en Allemagne est mineur. Christina Bukalo connaît aussi des personnes de 65 ans qui sont nées en Allemagne et n'ont toujours pas de nationalité.

Une nouvelle loi sur la nationalité sans discrimination

Statefree place de grands espoirs dans la nouvelle législation sur la nationalité que l'actuel gouvernement est en train de mettre en place. Même si le cas des apatrides n'apparaît pas dans le projet de loi. A la demande de la DW, une porte-parole du ministère de l'Intérieur a déclaré par écrit :

"Les intérêts des apatrides sont déjà suffisamment pris en compte dans le droit de la nationalité. En outre, les dispositions générales relatives à l'acquisition de la nationalité allemande s'appliquent aussi aux apatrides, étant donné que les apatrides sont également des étrangers au sens du droit de la nationalité."

En clair : même si les apatrides n'apparaissent pas nomément dans le projet de loi qui doit être présenté et voté prochainement, ils devraient profiter, au même titre que les autres étrangers, de la réforme du droit de la nationalité.

L'Europe discute d'expulsions, pas d'intégration

Olaf Scholz devant le Bundestag
Le chancelier Olaf Scholz veut procéder à des expulsions "à grande échelle"Image : Annegret Hilse/REUTERS

Cette réforme, qui prévoit des naturalisations rapides et des incitations pour les travailleurs qualifiés étrangers, intervient à un moment où l'Allemagne est empêtrée dans un débat sur la migration. 

Sur impulsion de l'extrême-droite, le sujet est désormais tout en haut de l'agenda politique. Le gouvernement d'Olaf Scholz veut accélérer les expulsions d'étrangers en situation irrégulière et vient de présenter une série de mesures plus restrictives en la matière. Dans ce contexte, Christina Bukalo n'est donc pas étonnée que les apatrides soient relégués au second plan...

"Je m'explique cela d'une part à cause du manque de connaissance sur l'apatridie au sein de la classe politique et d'autre part à cause de la situation politique générale, avec le virage à droite de l'Europe. Les partis ont du mal actuellement à défendre ces thèmes, qu'ils appellent d'ailleurs "progressistes" alors que cela fait depuis longtemps partie du statu quo dans d'autres pays."

D'autres pays, comme l'Espagne ou le Portugal par exemple...

Des procédures différentes selon les endroits

L'apatridie est le sujet de recherche actuel de Judith Beyer. La professeure en ethnologie à l'Université de Constance a découvert le sujet il y a sept ans, lors d'un séjour de terrain au Myanmar, dans le sud-est asiatique. 700.000 Rohingyas avaient alors fui le Myanmar pour le Bangladesh à la suite de la répression brutale des autorités birmanes.

Judith Beyer, professeure en ethnologie à l'Université de Constance
Selon Judith Beyer, être privé de nationalité signifie aussi être privé de droitsImage : Inka Reiter

Depuis, Judith Beyer exerce comme experte au tribunal en Angleterre, lorsque les apatrides sont engagés dans des procédures d'asile. "Le problème de l'apatridie n'est pas encore vraiment arrivé dans le débat public en Allemagne", explique-t-elle.

Dans le domaine de la justice par exemple : tandis qu'en Angleterre des experts comme Judith Beyer examinent de manière indépendante les histoires de vie des apatrides et que leur expertise est prise en compte dans le jugement final, en Allemagne on fait rarement appel à des experts et la décision est souvent prise par les seuls juges. 

Mais le principal problème est qu'il n'existe pas en Allemagne de procédure standardisée pour établir l'absence de nationalité. Pour un cas similaire, l'office des étrangers de Munich peut donc prendre une décision différente de celui de Cologne ou Hambourg. Judith Beyer est professeure en ethnologie à l'Université de Constance et experte de l'apatridie.

"Au final, tout dépend de l'office qui traite le dossier ou de qui est assis de l'autre côté du bureau. C'est ce que de nombreux apatrides ne cessent de déplorer : il n'y a aucune sécurité juridique et tout dépend de la personne et de son niveau de connaissances. La plupart du temps, ce n'est pas une question de mauvaise volonté, mais simplement un manque de connaissances sur la manière de traiter les personnes sans nationalité."

Officiellement apatride ou nationalité incertaine

Conséquence : selon la décision des autorités, les personnes deviennent des apatrides de première ou de seconde classe. D'un côté, il y a environ 30.000 personnes comme Christina Bukalo, qui sont reconnues officiellement comme apatrides et peuvent être naturalisées au bout de six ans. Et de l'autre, la grande majorité avec près de 100.000 personnes, qui ont un titre de nationalité incertaines. Il s'agit de réfugiés qui ne peuvent pas prouver leur identité, comme les Rohingyas qui ont été déchus de leur nationalité. Ou d'enfants nés en Allemagne, mais dont la nationalité des parents n'est pas établie. Pour eux, la naturalisation se fait souvent longtemps attendre.

Mehran Karimi Nasseri devant l'affiche du film Le Terminal, qui raconte sa vie dans l'aéroport Charles de Gaulle
L'apatride le plus connu au monde : Mehran Karimi a passé une bonne partie de sa vie dans un terminal de l'aéroport CDG à Paris. Son histoire a été adaptée au cinéma.Image : Stephane De Sakutin/AFP

Etre apatride est une violation des droits humains, affirme Sawsan Chebli, responsable politique sociale-démocrate. Elle-même est née à Berlin de parents palestiniens apatrides et n'a été naturalisée qu'à l'âge de 15 ans. 

L'ethnologue Judith Beyer va encore plus loin :

"Les droits de l'Homme sont valables pour tout le monde sur le papier, mais en réalité seuls les gens qui font partie d'une communauté politique, donc d'un Etat, n'y ont accès. Cela signifie que 'le droit d'avoir des droits' comme le disait la philosophe Hannah Arendt, ne vaut pas quand on est une personne apatride".

Le nombre d'apatrides est estimé à environ 10 millions de personnes dans le monde. Le Haut Commissariat de l'ONU pour les Réfugiés a lancé en 2014 une campagne pour mettre fin à l'apatridie d'ici 2024. Parmi les dix mesures, le HCR demande de faciliter la naturalisation des personnes apatrides et s'assurer qu'aucun enfant ne naisse apatride. 

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A Jaffa, des voisins arabes et juifs s'organisent pour continuer à vivre ensemble malgré le conflit

La vieille ville de Jaffa à Tel Aviv
Les habitants du quartier de Jaffa ne veulent pas céder à la haineImage : THOMAS COEX/AFP

Depuis l'attaque terroriste du Hamas contre Israël, le 7 octobre, qui a provoqué en quelques heures la mort de 1.400 Israéliens, essentiellement des civils, tout a changé.

Israël semble bien décidé à en finir avec le Hamas. A Gaza, les bombardements de l’armée israélienne auraient fait plus de 8.000 morts, mais ces chiffres ne sont pas vérifiables car fournis uniquement par le ministre de la Santé palestinien, dirigé par le Hamas.

La population israélienne est persuadée que la guerre va être longue. Alors, dans les villes où Arabes et Juifs vivent ensemble, on s’organise. A Jaffa, un quartier mixte de 500.000 habitant, au sud de Tel-Aviv, les relations entre les deux communautés deviennent parfois difficiles. Arabes et Juifs ont créé un groupe qu’ils appellent la "Garde de la coopération judéo-arabe de Jaffa".

Ils affichent dans toutes les rues des plaquettes ou l'on peut lire "Ensemble nous surmonterons cela" et tentent de maintenir la coexistence habituellement exemplaire dans ce quartier. Un reportage de nos correspondants Hélène Machline et Antone Kucher.

 

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